Le BICE a organisé entre mars et avril une formation innovante autour du silent book — ou livre silencieux— destinée à ses partenaires d’Amérique latine*. Quelque 29 éducateurs et travailleurs sociaux de 12 organisations y ont participé. À travers quatre modules interactifs, ils ont pu découvrir tout le potentiel éducatif et thérapeutique de ces ouvrages, outils puissants pour favoriser le processus de résilience chez les enfants ayant vécu ou confrontés à des situations difficiles.
Comprendre et utiliser le Silent Book avec les enfants
Sans mots, le livre silencieux donne toute la place à l’image et à l’interprétation personnelle. Il invite les enfants à devenir les narrateurs de l’histoire, stimulant ainsi leur imagination, leur expression émotionnelle et leur capacité à donner du sens à leur vécu. « Le Silent Book impose à l’éducateur ou travailleur social qui l’utilise une grande flexibilité. Il n’y a pas une seule manière de comprendre un livre sans paroles. Il est donc primordial d’accepter l’histoire de chaque lecteur et les sentiments qui y transparaissent sans jugement », explique la formatrice Veronica Hurtubia, de l’Université catholique de Milan.
Le programme visait à familiariser les participants avec l’outil, ses caractéristiques et ses atouts. « Sous forme d’histoire courte imagée telle qu’une fable ou un conte, ce type d’ouvrage aide à bâtir une relation de confiance, encourage la prise de parole, favorise la participation de tous et donc l’inclusion », explique la formatrice. Autres points abordés : comment créer une histoire simple et linéaire ; avec quels personnages ; comment élaborer les images ; puis comment utiliser cet ouvrage avec les enfants de façon individuelle ou en groupe.
Un exemple pratique, inspiré du livre Uga, laa tortue, a offert aux participants une première expérience de l’animation d’activités, telles que la création de mondes imaginaires ou l’expression des émotions par le dessin.
Un appel à projets pour mettre en pratique les acquis
À la suite de cette formation, un appel à projets a été lancé auprès des partenaires participants afin de soutenir la création et l’utilisation de livres silencieux dans divers contextes éducatifs et psychosociaux. Quatre projets ont été retenus pour leur créativité, leur pertinence et leur potentiel à stimuler le développement cognitif et émotionnel des enfants. Démarrés courant juin, ils bénéficient d’un accompagnement logistique, conceptuel et financier du BICE.
« Un voyage extraordinaire » – projet de 6 mois – Centre Cre-siendo géré par les sœurs de San José de Cuneo (Argentine)
Ce livre retrace l’expérience sensorielle d’un bébé de 10 mois lors d’un trajet en train en périphérie de Buenos Aires. Le lecteur est plongé dans son univers perceptif, d’une grande richesse – textures, sons, regards, mouvements… – jusqu’à ce que sa mère lui donne son téléphone…
Le projet vise à sensibiliser les familles aux effets des écrans sur le développement des jeunes enfants. « Nous constatons une hausse des consultations pour des retards de langage, de motricité, des difficultés de régulation, des troubles du sommeil… Et à chaque fois, l’exposition excessive aux écrans est un facteur commun », explique notre partenaire.
« Silence… Je suis en train de dire quelque chose qui t’intéresse » – projet de 3 mois – ODHAG (Guatemala)
À travers un voyage onirique, Ali et Alex découvrent un monde où leurs droits sont bafoués : accès à l’éducation, droit à l’identité, liberté d’expression, droit au jeu, à vivre dans une famille bientraitante… Ce projet souhaite sensibiliser les enfants guatémaltèques, âgés entre 4 et 12 ans, à leurs droits fondamentaux et les amener à se mobiliser pour défendre ces droits.
L’ODHAG prévoit d’installer un coin calme dans une école primaire où les enfants auront accès à ce support ainsi qu’à d’autres ouvrages. « Au Guatemala, les droits humains des enfants sont violés quotidiennement, entravant leur développement intégral. La voix des enfants n’est pas entendue, on ne leur laisse pas la parole. . Il nous faut donc transformer cette triste réalité. »
« Linge étendu » – projet de 6 mois – Cometa (Pérou)
Ricardo, un garçon de 10 ans, travaille comme cireur de chaussures à Cuzco. Il ne cesse de pleuvoir depuis plusieurs jours et il n’a plus de vêtements secs pour sortir. Il est désespéré. Touché par sa situation, un personnage extraterrestre vient l’aider.
Cometa, partenaire du BICE au Pérou, souhaite utiliser cette histoire, élaborée avec des collégiens de 5e, dans les salles de rencontre familiale, où enfants et parents séparés peuvent renouer un lien. Grâce à la lecture partagée, encadrée par des psychologues formés à la médiation, les images deviennent un support pour favoriser le dialogue, la créativité et la résilience. Cela favorise le lien socio-affectif et stimule des échanges positifs, surtout lorsque les parents manquent d’outils ou d’habitude pour dialoguer avec leurs enfants.
« Au Pérou, le nombre de divorces a fortement augmenté ces dernières années, explique notre partenaire. Et les enfants sont particulièrement touchés car, souvent, le lien avec le parent qui n’a pas la garde est rompu ou distendu. C’est donc pour protéger les droits des enfants que ces salles de rencontre familiale ont été créées. »
« Petite graine » – projet de 6 mois – Callescuela (Paraguay)
Quand une petite graine tombe par terre, elle ne sait jamais sur quel type de sol elle va devoir pousser : un sol fertile ou dur et plein de cailloux… Malgré les obstacles, elle grandit à son rythme – qui n’est pas le même que celui de la graine voisine – encouragée par la pluie, le soleil ou une main bienveillante. Et finit par devenir une plante épanouie. Elle se souvient alors qu’elle a failli abandonner… mais qu’heureusement elle s’est accrochée.
Ce livre silencieux sera illustré collectivement lors d’ateliers impliquant enfants, adolescents, parents et artistes locaux de trois communautés vulnérables- dans le département de Alto Parana où Callescuela intervient, soutenu par le BICE. Une fois finalisé, le livre sera diffusé en version papier et numérique dans les écoles et espaces communautaires. Il servira de support lors de séances pédagogiques centrées sur l’estime de soi, la résilience, le développement personnel et la parentalité responsable.
À travers ces initiatives, le BICE s’attache à partager, avec ses partenaires, connaissances, outils et pratiques significatives afin que l’accompagnement des enfants les plus vulnérables ne cesse de s’enrichir, de se professionnaliser. Et que les équipes locales répondent toujours mieux aux besoins sur le terrain.
*Une autre formation sur les silent books a été menée auprès des partenaires africains pendant la même période. Un article sur le sujet sera publié prochainement.
