Comment s’est passée votre visite en Colombie auprès notre partenaire, la congrégation des Tertiaires capucins (RTC) ?
Alessandra Aula : En premier lieu, j’ai passé du temps à observer l’un des projets que le BICE soutient depuis sa création en 2021 : la boulangerie Bethléem (maison du pain) et à discuter avec tous les acteurs impliqués dans sa mise en œuvre, y compris bien sûr, les jeunes ! Le travail qui est mené est vraiment remarquable. Un maître boulanger-pâtissier y forme en 40-50 heures tant des jeunes confiés aux RTC par les autorités judiciaires pour qu’ils accomplissent leur mesure alternative à la détention, que des victimes de violences et en situation de grande précarité envoyés par le défenseur de la famille. Il est assisté par un ancien bénéficiaire du projet, qui a été recruté, et les sessions sont menées en présence d’une psychologue. 25 jeunes sont généralement formés par cours.
J’ai, par ailleurs, eu l’opportunité de participer à une foire où les jeunes ont présenté leurs produits à leurs familles et aux représentants du SENA (ministère du travail) et de l’ICBF (institut colombien du bien-être familial). Une vraie fierté pour eux qui ont aussi installé une sorte de petit café pour rendre la matinée encore plus conviviale.
Pourquoi la présence d’une psychologue ?
Lors des premières sessions, les jeunes se chamaillent souvent, rencontrent des difficultés à travailler ensemble, à se concentrer sur la tâche demandée. La psychologue est là pour leur rappeler les règles, pour les guider et les écouter. Elle permet aussi que les deux groupes – adolescents auteurs d’infractions et adolescents victimes – s’accordent bien. Nous n’étions pas sûrs au début que cela fonctionnerait, mais nous avons constaté que cette mixité apporte beaucoup à chacun. Cinq anciens bénéficiaires sont aujourd’hui de jeunes ambassadeurs de notre boulangerie Bethléem. Ils viennent des deux groupes et ont toutes et tous à cœur de partager ce que cette expérience a signifié pour leur projet de vie.
Entre 2022 et 2023, 252 jeunes ont été certifiés boulangers dont 122 également pâtissiers, comment se passe leur réinsertion ensuite ?
Les résultats sont encourageants. Actuellement, 104 s’appuient sur cette formation pour gagner de quoi vivre. 52 sont employés dans des boulangeries, 2 ont été recrutés chez Bethléem et 50 vendent leur production « maison » aux marchés notamment ; l’ICBF leur a fourni un kit pour les aider à lancer leur activité. Près de 50%, cela peut sembler peu, mais quand on sait combien ces jeunes ont été abîmés par la drogue, les violences c’est, au contraire, très réconfortant. Avec des jeunes aussi fragiles, aussi malmenés par la vie, nous nous réjouissons de chaque victoire, de chaque enfant « sauvé ».
Le drogue et l’entourage nocif, ce sont les deux principaux obstacles à la réinsertion ?
Ce sont des obstacles importants. Nous le constatons lors de la formation. La boulangerie et, surtout, la pâtisserie nécessitent des gestes minutieux, précis. Des gestes compliqués à réaliser pour certains qui ont gardé des séquelles liées à leur ancien usage de la drogue. Notamment une altération de la mémoire et du contrôle cognitif. Il est difficile aussi pour eux de se concentrer. Quant à leurs anciennes fréquentations, ils n’arrivent pas toujours à s’en défaire car elles viennent les chercher. À la sortie du centre, chez eux… Il y a un autre obstacle de taille : un entourage familial en soi fragile et qui, notamment, depuis la crise sanitaire et économique liée à la covid-19 et à l’inflation, peine à assurer des conditions de vie dignes aux enfants.
Quels sont les projets à venir ?
Suite au constat d’extrême pauvreté dont je viens de parler, nous avons décidé de lancer en parallèle un petit projet humanitaire à la rentrée en direction des 696 enfants victimes de violences, âgés entre 6 et 17 ans, accueillis dans les 7 clubs Amigó de la congrégation à Bogotá et dans le département de Cundinamarca. L’objectif est de leur fournir un kit scolaire pour qu’ils reprennent le chemin de l’école dans de bonnes conditions et sans peser sur le budget familial.
Et concernant la boulangerie dont le projet en cours se termine fin décembre ?
L’objet de ma visite en Colombie était aussi de faire un point sur les activités que nous devons renforcer et consolider, dans le cadre d’un prochain projet qui débutera en 2025 et d’analyser les ressources nécessaires dont nous devrons disposer pour sa mise en œuvre.
Pour cela, nous avons, par exemple, décidé que la boulangerie Bethléem approvisionnerait en pain et pâtisseries les trois internats des Tertiaires Capucins qui accueillent plus de 400 adolescents, d’élargir le nombre de participants aux formations et de dédier du personnel pour accompagner et suivre les jeunes dans leur recherche d’emploi. Les jeunes auront aussi l’opportunité d’obtenir un diplôme en gestion entrepreneuriale certifié par le ministère de l’éducation et du travail. Grâce aussi à l’implantation des RTC, Bethléem a tout le potentiel de se développer et s’autogérer à moyen terme.
Et pour ce qui est du rôle des jeunes ambassadeurs dont vous nous avez parlé précédemment ?
Nous les avons consultés pour connaître ce qu’ils souhaiteraient améliorer. Et, une fois de plus, ils nous ont émerveillés avec leur idée de mettre en place des actions solidaires : distributions de pain à des personnes ayant encore moins de moyens qu’eux, dans des structures d’entraide ou dans des maisons de retraite… Ces actions sont importantes pour eux qui ont besoin et envie de regagner la confiance de la communauté, d’être respectés pour ce qu’ils sont devenus. Nous allons donc développer ces rencontres communautaires et ces gestes d’entraide en les impliquant dans leur organisation.