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Enfant devant un téléphone pour illustrer un article sur les effets délétères des écrans sur les enfants
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Interview. Les effets délétères des écrans sur les enfants

Docteure en médecine, neurologue et neuro­physiologiste, spécialisée en psychopathologie des apprentissages et titulaire d'un master 2 en neurosciences, Servane Mouton s’intéresse aux liens entre santé et environnement. Et particulièrement aux effets des écrans sur le développement des enfants. Décryptage.

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Il est reconnu que les écrans (télévision, ordinateur, smartphone, tablette, jeu vidéo) ont un impact sur le développement du cerveau. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Le cerveau est en phase de neurodéveloppement jusqu’aux 25 ans d’un individu. Ces 25 années sont émaillées de ce que l’on appelle des périodes critiques : ce sont des périodes déterminées génétiquement au cours desquelles le cerveau acquiert des compétences ciblées. Pendant ces périodes, l’apprentissage de telle ou telle compétence est ainsi optimal, si toutefois l’environnement est adapté. Passées ces périodes, l’apprentissage est plus difficile voire impossible. Deux exemples concernant le langage, pour lequel la phase d’acquisition commence in utero :

  • Victor, l’enfant sauvage, qui a vécu au début du XIXe siècle, a grandi dans la nature sans aucun humain jusqu’à ses 12 ans environ. Par la suite, il n’a jamais pu apprendre à parler.
Servane Mouton, neurologue
  • Les enfants sourds de naissance appareillés au cours de leur première année auront des performances de langage similaires à celles des enfants normo-entendants. En revanche, s’ils sont appareillés après leur un an, des écarts qui peuvent être minimes mais qui sont significatifs statistiquement sont observés.

Quels impacts ont ces écrans sur le développement des moins de trois ans ?

L’écran est un support non adapté aux enfants de moins de trois ans. Il ne répond aucunement à leurs besoins. Pour différentes raisons :

  • L’enchaînement rapide des images et des sons rend impossible leur assimilation par le cerveau d’un tout petit, qui se trouve alors en surcharge cognitive.
  • Des études ont également montré que les enfants jusqu’à 3 ans apprennent davantage d’une personne qui s’exprime en leur présence face à eux, que de la même personne qui dit et fait la même chose à travers un écran. Le passage de la 2D à la 3D est en effet trop exigeant pour les petits. Cela mobilise une partie de leur cerveau qui n’est, de ce fait, pas disponible pour comprendre le message transmis. On parle de déficit de transfert vidéo.
  • Enfin, le contenu proposé par l’écran est trop pauvre. Sur le plan sensoriel, il est réduit à la vision et à l’ouïe : pas de manipulation, pas d’odeur, etc. De plus, il ne permet aucune interaction affective, or celles-ci sont essentielles pour les apprentissages de tout type.

De nombreuses études ont ainsi relevé le fort impact négatif de l’écran sur le développement de l’enfant de moins de 3 ans, sur le plan cognitif, notamment sur le langage et l’attention, et au niveau socio-relationnel.

Il faut mentionner un autre élément important : l’usage régulier et répété des écrans par le parent en la présence du petit enfant perturbe le développement de ses capacités socio-relationnelles et de la régulation de ses émotions : on parle de technoférence. Donc lorsque l’on s’occupe d’un petit, il est important de laisser de côté son téléphone, sa tablette ou tout  autre outil numérique !

Enfin, la présence d’une télévision ou d’un autre écran allumé dans une pièce est néfaste pour l’enfant, même si le programme ne lui est pas destiné, et même si l’enfant est endormi (ceci est vrai à tout âge).

Qu’en est-il des enfants plus grands, de plus de 3 ans ?

Une étude portant sur la cohorte Elfe* et publiée en août 2023 a observé qu’aux âges de 3,5 ans et 5,5 ans, un temps plus élevé d’exposition aux écrans, dès 30 minutes quotidiennes, était associé à de moins bons scores de développement cognitif global. Des études similaires en Allemagne** et au Canada*** sont arrivées aux mêmes constats. L’une des explications, mais ce n’est pas la seule, est que plus l’enfant est devant les écrans, moins il a de temps pour d’autres activités ou interactions sociales essentielles à son développement. 

Et si les écrans sont éteints mais que l’enfant, chez lui, ne se voit pas proposer d’activités par ses parents ?

Un enfant trouve toujours quelque chose à faire, même s’il est seul : jouer, dessiner, s’inventer des histoires. Le jeu libre est fondamental pour sa construction ! Il pourra aussi regarder les images d’un livre, lire s’il est plus grand… S’il a des frères et sœurs, il peut aussi s’amuser avec eux. L’enfant est alors en mouvement, actif. C’est essentiel pour son développement.

Il est aussi important de noter que le numérique a été déployé par l’Éducation nationale sans que son intérêt pédagogique ait été évalué au préalable. Or le récent avis du Conseil supérieur des programmes sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs et à l’amélioration des pratiques pédagogiques publié en juin 2022 est plus que réservé. Il préconise de ne pas l’utiliser en maternelle, de privilégier le papier en primaire, et conclut qu’ensuite sa plus-value est toute relative. Elle dépend de la matière, de la façon dont il est utilisé par l’enseignant et l’élève, et qu’il faut donc l’employer après réflexion, en se posant la question de l’objectif d’une telle utilisation. Ceci d’autant que, comme le souligne un autre rapport de l’Unesco publié cette année, cette technologie a un impact environnemental non négligeable.

Quelles sont les autres effets négatifs des écrans ?

  • Les écrans ont un effet négatif sur l’attention. Une étude a notamment montré que 9 minutes de dessins animés avant d’aller à l’école suffisent à diminuer les capacités d’attention pendant les heures qui suivent chez des enfants de 4 à 6 ans. Cette perte d’attention a également été constatée chez les adolescents. Ceux qui passaient le plus de temps devant un écran à 14 ans étaient ceux dont les capacités attentionnelles étaient les moins bonnes à 16 ans.
  • Les écrans ont aussi un impact négatif sur le sommeil, particulièrement s’ils sont regardés dans l’heure avant le coucher (mais pas seulement). La lumière émise par les écrans est en effet riche en bleu, et y être exposé perturbe la sécrétion du pic de mélatonine, l’hormone clé du rythme veille/sommeil. C’est un vrai problème car le sommeil est un pilier de notre santé. Et ceci est vrai à tout âge !  Un bon sommeil est aussi indispensable pour les apprentissages. Ainsi, le manque chronique de sommeil a des effets négatifs sur la concentration, la mémorisation, l’humeur, la santé mentale. Et accroit les risques de maladies métaboliques comme le diabète, l’obésité, et de maladies cardiovasculaires et neurodégénératives comme Alzheimer…
  • La sédentarisation des jeunes, expliquée principalement par un temps d’écran quotidien démesuré, est un vrai problème. Il est estimé que 50 % des Français de moins de 18 ans sont à risque sanitaire élevé en raison de cette sédentarisation et du manque d’activités physiques. Or la sédentarité favorise les maladies cardiovasculaires (AVC, infarctus du myocarde, etc), mais aussi le diabète, le surpoids et l’obésité qui sont eux-mêmes des facteurs de risque cardiovasculaires.
  • Il y a un autre sujet préoccupant, c’est l’effet sur la vision d’autant de temps d’écran. Cela favorise la myopie, par surutilisation de la vision de près mais surtout par excès d’exposition à l’éclairage artificiel au détriment de la lumière naturelle. Les conséquences sur la rétine d’une exposition prolongée et répétée à cette lumière bleue ne sont pas connues, mais pourraient aussi être problématiques à long terme.

Pouvez-vous nous rappeler la moyenne des temps d’écran récréatif quotidien par tranche d’âge pour les jeunes Français ?

  • 1h22 par jour devant la télévision (support le plus utilisé), 44 minutes devant un smartphone pour les moins de 3 ans.
  • 1h47 entre 3 et 7 ans (plus de 3h pour 1/4 des enfants).
  • 2h28 de 7 à 11 ans (plus de 3h pour 1/3 des enfants).
  • 3h38 chez les 11-15 ans.
  • 4h50 pour les 15-18 ans (plus de 7h pour 1/4 des enfants).

Ces chiffres proviennent, pour le premier, d’une étude Ipsos (Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation au Numérique et l’Union Nationale des Familles, 2022), et pour les suivants de l’Anses (Étude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 – INCA 3, 2017). Même si elles paraissent immenses, les dernières données sous-évaluent certainement la réalité. Les temps d’écran ont évolué à la hausse depuis la pandémie de covid.

Que préconisez-vous ?

Si le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) préconise d’éviter les écrans avant 3 ans, notre association Neurologie environnement réseau francophone (NERF) recommande aucun écran avant 6, voire 7 ans car l’année de CP est essentielle pour l’acquisition de la lecture et de l’écriture.

Passé 7 ans, les écrans devraient être remis à leur place d’outil récréatif, de loisir parmi d’autres, et n’être pas forcément quotidiens ! Le problème est qu’aujourd’hui, ils représentent la principale activité à l’extérieur de l’école pour beaucoup d’enfants et d’adolescents, quand ce n’est pas la seule… L‘Association française de pédiatrie ambulatoire conseille par jour maximum : 30 minutes pour les 7-8 ans ; 45 minutes pour les 8-10 ans ; et ensuite, 1 heure. L’Association américaine de pédiatrie préconise de les limiter à 1h-1h30 entre 13 et 18 ans.

À tout âge, certaines règles devraient être appliquées : pas d’écran dans l’heure précédent l’endormissement, pas d’écran dans la chambre à coucher, compenser chaque heure devant l’écran par une heure d’activité physique. Et particulièrement pour les plus jeunes, pas d’écran avant d’aller à l’école.

De façon évidente, il faut aussi veiller à ce que le contenu soit adapté à l’âge. Les contrôles parentaux sont une nécessité, tant que la sécurisation de l’espace numérique n’est pas assurée en particulier pour les sites proposant de la pornographie, des contenus violents, la promotion de produits néfastes pour la santé…

Nous déconseillons l’achat d’un smartphone avant 15 ans, cet outil donnant accès à des contenus addictifs dont l’usage excessif et/ou inapproprié est délétère pour la santé. Un téléphone mobile « simple » peut répondre aux besoins de communications et de sécurisation des trajets notamment.

Soulignons d’ailleurs que la loi du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne fixe à 15 ans la majorité numérique permettant de s’inscrire seul sur les réseaux sociaux en ligne. En-deçà de cet âge, l’accord d’un des deux parents est nécessaire. Ceci est un signal fort quant aux risques liés à l’usage de ces plateformes.

Comment faire en tant que parent pour que ces changements d’habitudes se passent bien ?

Je ne dis pas que ce sera facile. À chaque âge ses problématiques… Pour le petit enfant, les premiers jours, les premières semaines, la frustration risque d’être forte donc difficile à gérer. Mais il faut tenir car les bienfaits sur sa santé, son développement sont réels. Pour les plus grands, il faut prendre le temps de considérer leurs demandes, leurs besoins, même si en fin de compte on est bien souvent conduit à les restreindre : on peut établir des « contrats familiaux » pour encadrer les usages, et les revisiter au fil du temps. L’important est de définir des règles tenant compte de la préservation de leur santé et de leur scolarité. Il est important aussi de leur expliquer pourquoi nous faisons cette démarche, de parler avec eux de leur usage des écrans, de ce qu’ils regardent. Également de leur proposer des activités de substitution, en autonomie ou à partager avec eux. Il faut aussi donner l’exemple, éviter d’être soi-même beaucoup devant les écrans en leur présence !

Merci Docteure pour votre éclairage.

*En France, l’étude Elfe est menée sur un panel de 14 000 enfants suivis de leur naissance en 2011 jusqu’à leurs 20 ans.

** Schwarzer C, Grafe N, Hiemisch  A et al. Associations of media use and early childhood development: cross-sectional findings from the LIFE Child study. Pediatr Res., 2021. 

***Madigan S, Browne D, Racine N et al. Association Between Screen Time and Children’s Performance on a Developmental Screening Test. JAMA Pediatr, 2019. 

Pour aller plus loin

Couverture du livre Humanite et numerique

Humanité et numérique : les liaisons dangereuses, coordonné par le Dr Servane Mouton, édition Apogée, 2023.

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