Le Conseil des droits de l’homme vient de reprendre la 43e session arrêtée mi-mars en raison de la crise sanitaire. Vous êtes intervenu hier pour une communication sur la Côte d’Ivoire, quel était le sujet ?
Yao Agbetse : La communication délivrée sur la justice juvénile en Côte d’Ivoire s’articulait autour de cinq sujets. Nous avons en effet rappelé la nécessité de :
– Mettre en œuvre les réformes récentes telles que l’assistance judiciaire, la mise en place du Parquet des mineurs, le renforcement de l’assistance sociale, la liberté surveillée, ou encore la transaction, une forme de médiation juridique pour les enfants en conflit avec la loi.
– Délocaliser le Centre d’observation des mineurs (COM) de la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA). C’est une préoccupation maintes fois répétée.
– Éduquer, former professionnellement et réinsérer les enfants dits « microbes ».
– Faciliter l’accès à la justice des enfants victimes de violences sexuelles.
Nous avons aussi alerté de l’inquiétant retrait par la Côte d’Ivoire de la déclaration autorisant les individus et les ONG à porter plainte devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
Sur ce sujet de la justice juvénile en Côte d’Ivoire, le plaidoyer national et international du BICE et de son partenaire DDE-CI a été intense ces dernières années. Cela a porté ses fruits. Pouvez-vous nous décrire les avancées qu’il a permis ?
Y.A. : Plusieurs lois relatives aux successions, à la minorité, à la filiation, au mariage, et portant nouveau code pénal ont en effet été adoptées le 26 juin 2019. D’autres adoptées fin 2018 concernaient le code de procédure pénal (CPP), l’état civil et l’enregistrement des naissances.
Ces progrès législatifs sont le fruit de nos actions de plaidoyer national et international, en lien avec d’autres associations locales. Ils concernent plusieurs préoccupations que nous portions :
– La nécessité d’augmenter les mesures alternatives à la privation de liberté comme la transaction, la liberté surveillée et les travaux d’intérêt général qui sont désormais intégrés dans le droit ivoirien.
– La spécialisation du système de justice pour enfants avec en prévision la création d’un parquet des mineurs. Sans oublier le service de la Protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse (SPJEJ) qui intègre la dimension sociale dans le processus judiciaire.
– L’allègement des conditions d’enregistrement des naissances. Un droit fondamental. Sur le plan de la justice juvénile, il est important puisque l’âge de l’enfant détermine le régime applicable.
Pouvez-vous nous décrire vos différentes actions de plaidoyer sur la justice juvénile ces dernières années ? Comment travaille-t-on pour espérer faire bouger les choses ?
Y.A. : Au niveau national, nous travaillons beaucoup en partenariat avec les acteurs de la justice juvénile. DDE-CI a initié le Groupe COM (Centre d’observation des mineurs) composé de plusieurs acteurs tels l’Unicef, la Croix rouge, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) et les ONG, y compris la Coalition des ONG de défense des droits de l’enfant. Ce Groupe COM sert d’espace d’échanges, de propositions et d’actions de plaidoyer. DDE-CI, appuyé par le BICE, y assure un rôle de leadership.
Nous menons aussi des actions et démarches constantes de plaidoyer auprès des services et institutions de l’État concernés. Tels que le Secrétariat d’État auprès du ministre de la Justice et des Droits de l’homme, la direction de la Protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse (DPJEJ) et les SPJEJ.
Parmi les actions du BICE et de DDE-CI, la rédaction et la publication d’un Recueil sur la justice pour enfants en Côte d’Ivoire ont permis de faire le diagnostic des problématiques et de formuler des propositions. Ce projet a également participé à positionner DDE-CI sur la scène nationale comme un acteur majeur des droits des enfants. De plus, en nous appuyant sur le Recueil, nous avons mené des formations. L’objectif était de renforcer les compétences des acteurs de la justice pour enfants (juge des enfants, juge d’application des peines, procureurs, agents des SPJEJ, magistrats de la DPJEJ, officiers de police judiciaire, brigade des mineurs et ONG). Cela a permis de mettre l’accent sur les problèmes et identifié les solutions possibles avec les acteurs eux-mêmes.
Enfin, DDE-CI s’est rapproché du milieu universitaire. Notre partenaire a en effet passé deux conventions de partenariat. L’une avec l’UFR-Criminologie de l’université Felix Houphouët-Boigny d’Abidjan. L’autre avec l’Institut national de formation judiciaire (INFJ). Ces partenariats renforcent la recherche-action, l’enseignement basé sur l’expérience et l’expertise de terrain, et l’amélioration du système de justice pour enfants dans le pays.
Et au niveau international ?
Y.A. : Tous les mécanismes pertinents ont été mobilisés. Le BICE a d’abord formulé des propositions directement à la Mission permanente de la Côte d’Ivoire auprès des Nations unies à Genève. Il a aussi soumis des rapports alternatifs et de suivi à l’Examen périodique universel* (EPU) et au Comité des droits de l’enfant. Pour faire relayer leurs préoccupations par les États et les experts, le BICE et DDE-CI ont participé aux pré-sessions de ces deux mécanismes qui donnent l’occasion d’échanger directement avec les acteurs en première ligne. Ces rapports relaient les inquiétudes de terrain, servent de propositions et montrent la disponibilité du BICE à œuvrer de concert avec les services de l’État et les autres ONG.
Le BICE est également intervenu sur le sujet au Conseil des droits de l’homme. Via des communications orales et écrites. Via aussi des actions de plaidoyer auprès des détenteurs de mandats des procédures spéciales, des États et des services pertinents du haut-commissariat des Nations unies aux Droits de l’homme. La participation des représentants de DDE-CI à des événements à Genève a renforcé ce plaidoyer international. Le BICE a aussi travaillé avec l’ancien expert indépendant de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire. Ce dernier a visité le COM, relayé dans ses rapports les préoccupations et recommandations du BICE. Ces inquiétudes relayées deviennent ainsi des préoccupations portées par la communauté internationale.
Enfin, le BICE travaille avec les coalitions et plateformes internationales. Il fait partie notamment des ONG qui ont piloté l’Étude mondiale de l’ONU sur la privation de liberté des enfants. Le BICE a d’ailleurs procédé au lancement national de l’étude le 20 novembre 2019 à l’université Felix Houphouët-Boigny d’Abidjan.
Par ailleurs, le BICE a rassemblé toutes les recommandations formulées à la Côte d’Ivoire en 2019 par l’EPU, le Comité des droits de l’enfant et le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Cette compilation est un outil d’information, de formation et de plaidoyer pour les acteurs étatiques et non étatiques ivoiriens.
Maintenant que plusieurs lois ont été votées, quelles vont être les actions menées par le BICE et son partenaire ?
Y.A. : Le BICE veille à l’adoption des mesures d’application de ces nouvelles normes. Il reste mobiliser pour la mise en œuvre de ces réformes législatives. Ce travail a déjà commencé, d’ailleurs. Avec la formation organisée à Abidjan en novembre 2019. Et lors de la communication écrite A/HRC/43/NGO/48 soumise au Conseil des droits de l’homme en mars 2020. Cette communication lance des pistes d’actions. Elle propose des éléments pouvant constituer le dispositif de la liberté surveillée, de la transaction, des travaux d’intérêt général et autres.
Grâce à sa longue expérience de terrain, DDE-CI pourrait également formuler des propositions concrètes pour la mise en œuvre des loi adoptées. Il n’est par ailleurs pas exclu que le BICE, DDE-CI et d’autres associations intéressées élaborent des projets de circulaires pour éclairer les acteurs politiques.
Ce plaidoyer était-il accompagné sur le terrain d’actions en direction des enfants en conflit avec la loi ?
Y.A. : La force du BICE réside dans l’action de terrain combinée avec le plaidoyer national et international. Les stratégies et actions de plaidoyer s’appuient sur l’expérience de terrain acquise dans la mise en œuvre des activités afin de coller au mieux à la réalité. Agir sur les deux niveaux offre crédibilité, pertinence et efficacité aux actions entreprises. Cela permet de faire des propositions ciblées basées sur une approche participative des personnes concernées. L’appui technique du BICE à DDE-CI est donc permanent. Que ce soit dans la mise en œuvre des activités ; les messages de plaidoyer à porter auprès des autorités ; le partenariat avec les associations, notamment au niveau du Groupe COM ; l’élaboration des rapports alternatifs et de suivi…
* L’Examen périodique universel (EPU) consiste à passer en revue les réalisations de l’ensemble des États membres de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme. Ce processus est mené par les États, sous l’égide du Conseil des droits de l’homme.