Quel genre d’enfant étiez-vous ?
J’étais une enfant studieuse, une enfant heureuse. J’ai grandi dans le Newcastle, au nord-est de l’Angleterre. Nous étions une grande famille (j’ai deux frères et deux sœurs). La plage n’était pas loin, nous faisions des pique-niques à la campagne, à la mer, nous y rencontrions souvent la famille élargie. Nous fêtions les anniversaires… Il y avait beaucoup de bonheur.
D’où vient votre engagement pour l’enfance ?
J’ai fait mes études à l’Université de Birmingham, au Royaume-Uni, qui me destinaient à une carrière dans le marketing, les relations internationales, la banque… Des secteurs qui ne me disaient rien. Enfant, j’avais été marquée par les Pères missionnaires issus de notre paroisse. La plupart étaient des amis de la famille. Quand ils venaient nous voir à leur retour d’Afrique, c’est moi qui posais toutes les questions sur la façon dont vivaient les personnes là-bas, surtout les enfants. Cela m’a façonnée.
Quand l’occasion d’intégrer le BICE à Genève s’est présentée, je n’ai pas hésité. J’ai été très impressionnée par le professionnalisme et surtout l’humilité de la personne qui m’a fait passer l’entretien à Londres. Et j’ai absolument voulu décrocher ce poste qui répondait à une vraie recherche de sens pour mon engagement professionnel. C’était en 1980, au lendemain de l’Année internationale de l’enfant. Le secrétaire général du BICE à l’époque, le Chanoine Moerman, avait beaucoup œuvré pour que celle-ci soit adoptée. Il y voyait une occasion d’influencer les politiques en faveur de l’enfance pour les années à venir.
En quoi le BICE a-t-il été visionnaire en matière de droits de l’enfant ?
Le BICE a été visionnaire dans son appel pour une Année internationale de l’enfant en 1979. Il a joué également un rôle leader dans l’attention qui a été portée à des sujets dont on parlait peu à l’époque : les enfants en situation de rue, les enfants victimes d’exploitation sexuelle (il a initié par exemple la première étude mondiale sur la pornographie enfantine !), les besoins non-matériels des enfants réfugiés, et, bien sûr, la résilience des enfants, concept vital pour les droits de l’enfant. Le BICE permettait aux ONG du monde entier de se rencontrer et d’échanger. Personne auparavant ne leur avait permis de faire part de leur sagesse et de leur expérience. Le BICE innovait également en insistant sur la participation des enfants, sur leur dignité en tant qu’êtres humains à part entière. En 1979 déjà, il avait organisé un colloque intitulé « Cet enfant qui nous éduque » !
Comment en êtes-vous venue à travailler à la rédaction de cette Convention ?
Lorsque le Chanoine Moerman est tombé malade, il m’a demandé de le remplacer (avec un autre membre de l’équipe) lors des séances de rédaction de la Convention. J’avais 28 ans. De 1982 à 1989, j’ai participé à toutes les sessions. C’était un moment crucial. Les discussions se heurtaient aux divergences politiques est-ouest. Avec l’arrivée de Gorbatchev, les tensions sont retombées. Les délégués de l’ex Europe de l’est participaient même volontiers aux apéritifs annuels qu’organisaient les ONG pour faire avancer leurs propositions dans une ambiance conviviale. Le BICE s’est notamment battu pour le droit à la rééducation et à la réintégration des enfants victimes d’abus et de violence ; pour la protection de l’enfant avant la naissance, le droit à l’éducation et la responsabilité des parents dans les choix éducatifs.
Quelle est votre vision de l’enfance aujourd’hui ?
Je dirais deux choses : je crains l’omniprésence des écrans dans la vie des enfants et je redoute la lenteur des changements en faveur de l’enfance. Je pense à tous ceux que j’ai rencontrés il y a 25 ans. Que font leurs propres enfants ? Sont-ils à la rue comme l’étaient leurs parents à leur âge, ou forcés de travailler, de se prostituer ? Faudra-t-il attendre encore 50 ans pour briser le cycle de la violence ? L’antidote à cette lenteur des changements, c’est la participation des enfants à la défense de leurs droits. On l’a vu avec Malala Musafzai, pour l’éducation des filles, et aujourd’hui avec Greta Thunberg pour le climat. C’est un motif d’espoir.