Comment les partenaires locaux du BICE décrivent-ils la situation actuelle ?
Alessandra Aula : Pour tous, le contexte s’est fortement aggravé depuis le début de la pandémie de covid-19. Et, à l’heure actuelle, avec la guerre en Ukraine. Les conditions de vie des familles qu’ils accompagnent sont plus précaires. Beaucoup sont passées d’une situation de pauvreté à une situation d’extrême pauvreté. Et la vulnérabilité s’est accrue dans divers domaines.
Nos partenaires ont, entre autres, évoqué l’accroissement des difficultés économiques en raison de la hausse des prix des denrées alimentaires et du carburant, du manque de travail, de la baisse des revenus ou du désengagement de l’État pour les questions sociales ; l’augmentation des mouvements migratoires forcés, causés notamment par les conflits armés, et plus globalement par l’insécurité et l’instabilité politique qui sévit dans plusieurs pays.
Enfin, tous s’inquiètent de la hausse de la violence intrafamiliale mais aussi sociale. Et de la forte dégradation de la santé mentale des enfants et adolescents.
Y a-t-il des constats spécifiques à chaque région ?
A.A. : Il y a bien sûr des différences d’appréciation de telle ou telle situation selon l’histoire et la culture de chaque continent. Mais les grandes thématiques abordées sont transversales : fragilisation des institutions étatiques, amplification des inégalités sociales, déracinement physique et psychologique de dizaines de milliers d’enfants. Dans ce scenario, les enfants sont souvent invisibles et peu de ressources sont allouées pour garantir leur développement intégral.
Face à ces différents constats, avez-vous dû, avec vos partenaires, réorienter vos projets ?
A.A. : Oui. Depuis toujours, nous adaptons si nécessaire nos actions tout au long des projets afin qu’elles répondent au mieux aux besoins de la population. Mais là, la situation mondiale a été tellement bouleversée, avec des répercussions locales fortes, que nous sommes régulièrement appelés à recalibrer nos initiatives . Je peux vous donner quelques exemples.
En réaction à l’appauvrissement des familles, nous avons considérablement développé le soutien aux activités génératrices de revenus, en particulier celles tournées vers l’agroalimentaire. Notre objectif étant de leur permettre de retrouver une autonomie financière et/ou alimentaire et de permettre aux enfants de poursuivre leur scolarité. Pour faire face à la dégradation de la santé mentale des enfants et des adolescents, nous avons renforcé leur prise en charge psychologique dans plusieurs de nos projets. Et nous avons développé l’approche résilience, en formant notamment nos partenaires et leurs équipes. Pour répondre à l’augmentation de la violence intrafamiliale, nous avons aussi multiplié les actions de sensibilisation à la parentalité positive.
Les conditions de travail de vos partenaires sont-elles plus compliquées ces dernières années ?
A.A. : La situation décrite montre clairement que l’exécution des projets sur le terrain doit répondre à un nombre croissant de défis, certains qui se sont aggravés et d’autres nouveaux. Défis face à des enfants qui souvent n’ont qu’un repas par jour ; des enfants qui sont exposés à des violences atroces ; et d’autres dont le niveau scolaire a dramatiquement baissé hypothéquant leur avenir ; défis face à des familles qui ont perdu leurs modestes revenus, qui ont dû se séparer pour essayer de trouver des moyens de survie ; défis institutionnels en raison d’un durcissement des conditions de travail pour les défenseurs des droits de l’homme dans certains pays ; et défis vis-à-vis de leurs propres équipes parfois au bord du burn-out à cause de tous ces changements brusques.
Qu’est-ce que le BICE représente pour les associations locales avec lesquelles vous travaillez ?
A.A. : Lors de nos dernières réunions, nos partenaires se sont dits reconnaissants de notre capacité à nous adapter aux défis qu’ils rencontrent. Et nous ont remercié du soutien moral, logistique, financier qu’on leur apporte ainsi quede notre mobilisation en cas d’urgence humanitaire. Remerciements que nous partageons bien sûr de tout cœur avec nos donateurs qui rendent toutes ces actions possibles. Nos partenaires ont aussi évoqué l’intérêt pour eux de participer à un réseau international. Un réseau qui leur permet d’établir avec d’autres membres des liens de coopération et de travail coordonnés. Ces retours nous ont beaucoup touchés. De notre côté, nous sommes ravis de travailler avec ces partenaires de confiance ; qui connaissent parfaitement leur zone d’intervention et les populations à soutenir ; et qui sont tous très impliqués dans leurs missions. Cela nous garantit la mise en place d’interventions ciblées et adaptées aux besoins des enfants et de leurs familles.
Lors des rencontres, vos partenaires ont-ils évoqué de nouvelles lignes à développer ?
A.A. : Tous ont insisté sur la nécessité d’accroître l’aide psychologique aux enfants et aux adolescents, ainsi qu’à leurs familles. Ils ont également exprimé le souhait d’éduquer à la paix et à la cohabitation pacifique interconfessionnelle les jeunes et leurs parents. « Nous devons les aider à développer un comportement non-violent, leur apprendre à ne pas haïr l’autre », s’est par exemple exprimé un partenaire d’Europe de l’Est ; tandis que les partenaires africains demandaient de surcroît d’être formés à la prévention et à la gestion de conflits intercommunautaires. Mais face à cette situation généralisée de crise qui pourrait nous amener à un certain découragement, je fais miennes les mots de notre partenaire au Guatemala. « Ne nous résignons pas. Gardons l’espérance ! » C’est tout le sens de notre mission commune.