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justice juvenile pérou
Bruno Van der Maat, l'auteur de l'ouvrage "Essays on prison and justice", lors d'une rencontre avec une détenue
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Pérou. État des lieux de la justice juvénile

Bruno Van der Maat*, théologien et économiste, docteur en sciences sociales, est membre fondateur de l’association OPA-Niños Libres, partenaire du BICE. Il vient de publier un ouvrage en anglais sur la justice juvénile au Pérou, un sujet qu’il étudie depuis de nombreuses années. Interview.

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Pourriez-vous présenter en quelques mots votre dernière publication ?

Essays on Prison and Justice** présente trois études sur la situation des prisons au Pérou : une sur les indicateurs de la surpopulation carcérale, une autre sur l’évolution des différents systèmes de justice juvénile et une troisième sur la façon dont la pandémie de covid-19 a affecté les détenus et le personnel à charge des prisons.

Essays on prison and justice de Bruno Dan Der Maat

Vous y parlez de surpopulation carcérale, c’est une réalité mondiale ?

La surpopulation carcérale est malheureusement une réalité dans la grande majorité des prisons dans le monde. Et c’est un leurre de penser qu’elle peut diminuer si on construit plus de prisons ou des prisons plus grandes. Il s’agit d’un phénomène bien plus compliqué que cela.

C’est-à-dire ? 

Il nous faut repenser notre système de justice, car il se limite souvent à enfermer les accusés, sans plus. Les systèmes carcéraux ne répondent pas à la fonction de réhabilitation, qui, pourtant est essentielle.

Vous y décrivez une nouvelle façon de la mesurer, quelle est sa spécificité ?  

Habituellement, le taux de surpopulation est calculé sur la base des lits disponibles, comme dans un hôtel. On divise le nombre de détenus par le nombre de places disponibles et si le taux dépasse 100 %, on parle de surpopulation. Toutefois, le but d’emprisonner un citoyen n’est pas de lui fournir un lit, mais de faire en sorte que, à la fin de sa peine quand il sort de prison, il ait changé son mode de vie, son regard sur la société et ne retombe plus dans la délinquance. C’est pourquoi je propose une façon différente d’évaluer la surpopulation carcérale. Non pas sur la base des lits disponibles, mais du personnel qualifié qui s’occupe de la réhabilitation des détenus.

Quels sont les résultats, si on applique cette nouvelle manière de calculer au Pérou ?

Je me suis intéressé à la distribution par catégorie du personnel qui travaille en prison. Les chiffres sont très révélateurs des options prises par les autorités péruviennes. 71 % du personnel s’occupe de la sécurité, 16 % travaille dans l’administration et seulement 13% se charge du traitement des prisonniers. Ce dernier groupe comprend le personnel de santé, les avocats, les psychologues, les travailleurs sociaux et les éducateurs. Ces chiffres montrent bien que la grande priorité est la sécurité et non pas la réhabilitation des détenus. Face à cette réalité, on peut se demander à quoi servent les lois qui disent que la société emprisonne ses citoyens pour les rendre meilleurs, afin qu’à leur sortie de prison, ils puissent se réintégrer à la communauté.

En matière de justice juvénile, n’y a-t-il pas justement des alternatives à la privation de liberté ?

Oui. Il existe trois systèmes de justice juvénile au Pérou. Et l’étude que j’ai réalisée porte sur leur évolution ces dix dernières années. Le premier se base sur l’emprisonnement des jeunes en conflit avec la loi. Le deuxième les accompagne à travers des services d’orientation pour les adolescents (SOA), où ils doivent se rendre régulièrement pour faire le point sur leur situation juridique, psychologique, sociale et éducative. Ces deux systèmes s’appliquent aux jeunes qui sont passés par le juge et qui ont été condamnés. Le troisième dispositif dépend, lui, du Ministère Public qui applique une justice réparatrice. Le procureur donne alors aux jeunes infracteurs la possibilité de réparer le dommage commis. Leur dossier n’est donc pas transmis au juge pour autant, bien sûr, qu’ils honorent leur engagement. L’avantage ici est que le jeune ne passe pas en justice, et que les demandes de la victime sont satisfaites.

Les deux systèmes de justice alternatifs que vous venez de décrire sont-ils appliqués depuis longtemps au Pérou ?

Les SOA existent depuis une vingtaine d’années. Le système de justice réparatrice a été instauré il y a une dizaine d’années. Ces deux dispositifs sont en pleine expansion. Le nombre de centres où ils sont appliqués accroissent chaque année, augmentant les possibilités de prise en charge pour les jeunes en conflit avec la loi.

Quelle est l’efficacité de ces mesures alternatives à l’enfermement ?

Avant tout, il faut rappeler que l’enfermement des jeunes est nocif pour leur développement psychologique, physique et social. C’est pourquoi les règles internationales, comme la Convention relative aux droits de l’enfant, demandent à ce qu’il ne soit appliqué qu’en dernier recours. Ce qui malheureusement n’est pas le cas. Le rapport de l’ONU sur les enfants privés de liberté (2019) démontre en effet que l’emprisonnement des jeunes est encore aujourd’hui la règle générale.

Pourtant, les taux de récidive des jeunes emprisonnés restent très élevés. Et surtout, beaucoup plus élevés que ceux des jeunes qui ont pu bénéficier d’un autre type d’accompagnement. Sans parler de l’impact négatif de cette privation de liberté qui pèse sur eux tout au long de leur vie. En plus, c’est un problème qu’ils ne sont pas seuls à porter. L’ensemble de la communauté en subit les conséquences. Car ces jeunes ont plus de risques de suivre une voie contraire à la loi étant devenus adultes. Comme disait un graffiti que j’ai vu il y a quelques temps : « Enfermer nuit gravement à la société ».

Quelle est l’évolution de ces trois systèmes au Pérou ?

L’étude que j’ai réalisée montre bien que le nombre de jeunes en conflit avec la loi dans les deux systèmes que l’on pourrait nommer « alternatifs » – système ouvert (SOA) et justice réparatrice – croit considérablement chaque année.  Ils sont passés de 1622 et 62, respectivement en 2010 à 2776 et 1711 en 2021. Ceci est dû, entre autres, au fait que le nombre de possibilités d’accueil dans ces deux systèmes augmente chaque année. Et on ne peut que s’en féliciter. Mais, il y a une ombre qui plane sur ce succès. Le nombre de jeunes en conflit avec la loi qui passent par le système fermé continue lui aussi d’augmenter (30 % en moins de dix ans de 2769 à 3594). Ainsi, l’instauration et l’expansion de systèmes alternatifs est loin d’avoir diminué le nombre de jeunes enfermés. Au contraire.

Comment expliquer ce phénomène ?

Pour expliquer cette évolution, il y a deux hypothèses. Soit les jeunes sont beaucoup plus délinquants qu’il y a dix ans. Mais les statistiques sur les délits juvéniles ne soutiennent pas cette hypothèse. Soit l’existence même de davantage de points d’accueil a drainé plus de jeunes dans les différents systèmes, sans décongestionner le système fermé. Comme je le disais précédemment, se joue ici une tendance bien connue (et même documentée dans les rapports spécialisés des Nations unies : une nouvelle prison ou un nouveau système « alternatif » se voit vite rempli ou submergé par un nombre croissant de détenus ou de condamnés. Ceci nous renvoie au dilemme des « peines alternatives », qui en fin de compte risquent de capter plus de jeunes dans leur moulin. Il ne s’agit donc pas de créer des peines ou des systèmes alternatifs, mais plutôt de trouver des alternatives à la peine. Dans cette optique, la justice réparatrice semble la voie la plus intéressante à suivre, avec créativité.

* Bruno Van Der Maat est professeur principal à la retraite de l’Université catholique Santa María à Arequipa au Pérou où il a enseigné, entre autres, la criminologie et où il était chargé des programmes de doctorat. Depuis 2008, il fait partie du Conseil d’Administration du BICE.

** Bruno Van Der Maat, Essays on Prison and Justice. Arequipa : éd. OPA-Niños Libres, avril 2023. Le livre peut être téléchargé gratuitement du site www.opa-nl.com et du centre de documentation Enfance sans Barreaux du BICE (paragraphe sur le Pérou / OPA).

Plus d’infos sur la justice réparatrice que promeut le BICE ici.

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