Abeline a 13 ans. Elle vit à Afagnan, un grand village rural au sud-est du Togo. Là-bas, comme dans les communes voisines, pas de bitume, peu de constructions en béton. Mais des routes et sols dans les tons ocre rouge, des champs de palmiers, de maniocs, de maïs, des maisons en briques de terre et plâtre de boue, recouvertes de chaume.
Orpheline de père, la jeune fille habite avec sa maman et ses sept frères et sœurs dans l’une de ces petites huttes. Un soir d’août dernier, alors qu’elle rentre chez elle après avoir vendu du bois de chauffe au marché, elle est victime d’un viol. « Il était vers 23h, j’ai vu un homme sur la route avec son téléphone portable. Il m’a laissée le dépasser puis il s’est mis derrière moi et m’a frappée. J’étais à terre, il s’est jeté sur moi, a déchiré mes vêtements », raconte Abeline.
Des passants la découvrent peu de temps après, allongée sur le bord de la route. Impossible pour elle de se relever, de marcher. « Quand je l’ai vue comme ça, j’ai eu envie d’hurler, se souvient sa maman. Je l’ai portée sur mon dos jusqu’au dispensaire. Là-bas, ils m’ont dit que c’était trop grave et qu’il fallait aller à l’hôpital. Il y en a un à Afagnan, nous nous y sommes rendues tout de suite. »
Accompagner les enfants victimes
En grande précarité, la maman ne peut payer les soins sans recourir à un prêt usuraire, très onéreux. « Dans un tel contexte, beaucoup renoncent aux soins pour leur enfant, alors qu’il en a absolument besoin et qu’il risque des complications graves. La maman d’Abeline s’est, elle, endettée tout en sachant que ce serait extrêmement difficile ensuite, explique Mawouto Afansi, directeur de A2PEJF. Bien sûr, dès que nous avons été informés de l’agression par la brigade, nous leur avons proposé notre aide. »
Un soutien financier pour assurer la prise en charge médicale de la victime, et un accompagnement juridique et moral. « Nous sommes là pour écouter, conseiller. Nous rendons des visites régulières pour suivre l’enfant sur les plans psychologique et médical. Nous nous assurons aussi que les analyses de contrôle trois mois après le viol soient bien réalisées. Et nous assistons les familles sur le plan juridique. Dans cette affaire, le coupable n’a pas encore été identifié », explique Mawouto Afansi qui précise que le projet prévoit la prise en charge d’une vingtaine d’enfants victimes jusqu’en septembre 2023.
Prévenir les actes de violences
En parallèle, un volet « prévention » est déployé dans les sept villages d’intervention. Cela passe par le renforcement des compétences des conseillers municipaux et leaders communautaires, la création de comités communautaires de protection de l’enfant et de clubs scolaires dans cinq établissements, ainsi que leur formation. « L’éducation punitive, le non-respect des droits de l’enfant sont courants, que ce soit à la maison ou à l’école. La violence sexuelle est aussi un fléau contre lequel nous devons lutter. Il est donc essentiel d’avoir des relais dans les communautés. Plus on est nombreux à porter haut le combat contre les violences, plus on sera entendu. »
Causeries sur les places publiques, sketches joués par les clubs scolaires dans les écoles ou sur les marchés, émissions de radio… Tous les moyens sont bons pour sensibiliser les populations et faire évoluer les mentalités. « Pendant nos interventions, nous parlons des différentes formes de violence, rappelons leurs conséquences sur les enfants et leur gravité sur le plan juridique, expliquons l’importance de les dénoncer afin de lutter contre l’impunité des auteurs », précise Mawouto Afansi.
Autant de messages pour éviter à d’autres enfants les souffrances subies par Abeline. Aujourd’hui, la jeune fille, scolarisée en 6e, dit aller « mieux ». « Je veux réussir à l’école, étudier longtemps, devenir docteur », confie-t-elle.
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