Une à deux fois par mois, tôt le matin, avant 8h, une équipe de WCU prend la route en direction d’un des villages des oblasts de Kiev ou Tchernihiv en Ukraine. À deux ou trois heures de la capitale. Leurs habitants isolés, en raison notamment du mauvais état des routes et des alertes quotidiennes qui compliquent tout déplacement, ne reçoivent que peu d’aides. Et pourtant, les besoins sont immenses.
« On constate une grande différence entre Kiev et la campagne. Dans ces oblasts, occupés par les Russes au début de la guerre, beaucoup d’infrastructures et de maisons ont été détruites. Et les cas de violences – tortures, abus sexuels, humiliations… – ont été nombreux, explique Svitlana, coordinatrice des projets en direction des enfants à WCU. Aujourd’hui, la pauvreté est grande. Le taux de chômage y est élevé. Beaucoup vivent de leur potager ou de petites activités telles que la manucure ou la garde d’enfants. Il y a peu de services. Pour être soignés, par exemple, les gens doivent aller dans les grandes villes, à Kiev ou à Tchernihiv. Et les enfants souffrent du manque d’activités, de jeux, de collectif… Heureusement, la plupart de ceux en âge d’être scolarisés, les plus de 7 ans, vont de nouveau à l’école. Enfin… quand l’alerte** ne sonne pas le matin au moment de leur départ. »
L’isolement, le manque d’activités, un poids pour les enfants et les adolescents
L’équipe de WCU, une ONG spécialisée dans le soutien psychologique avec laquelle le BICE travaille depuis 2010, va à la rencontre de ces familles « oubliées » depuis juillet 2023***. À bord du véhicule, un chauffeur bien sûr et au moins deux psychologues ou étudiants en psychologie. « Nous nous présentons comme tuteurs de résilience, le mot psychologue fait peur dans nos campagnes », précise Sofia, étudiante. Accueillis par la municipalité ou l’école, ils s’installent dans une bibliothèque, une salle de classe, la mairie… « Là où ils peuvent nous recevoir. Une fois, nous avons même mené notre atelier dans un hôtel ! », se souvient Varvara Melaniia, jeune diplômée. Et Svitlana d’ajouter : « Il nous est aussi arrivé de devoir l’animer dans un abri avec au sol de la terre battue à cause d’une alerte. »
Les tuteurs de résilience adaptent aussi leur séance à chaque intervention en fonction des participants, identifiés localement au regard des besoins. Des écoliers, des lycéens ou encore de jeunes enfants avec leurs mamans ou grands-parents, la plupart des hommes étant au front. « La typologie des groupes est très différente à chaque fois mais ce qui est frappant c’est que tous ont un besoin immense d’échanger, de se confier. Il faut dire que la guerre a succédé à la covid qui avait déjà isolé les gens. Et puis, les parents sont eux aussi tellement éprouvés que certains n’arrivent plus à être à l’écoute, explique Sofia et Sacha, en fin d’études de psychologie. À Makarivka, des lycéens, par exemple, ont évoqué leur solitude, le manque d’occasions de parler de ce qu’ils ressentent, de ce qu’ils souhaitent pour l’avenir, de leurs rêves… Ils étaient tellement reconnaissants de pouvoir enfin s’exprimer. »
Anxiété, repli sur soi, nostalgie de la vie passée
L’atelier d’1h à 2h30, selon l’âge des participants, s’organise autour d’activités de résilience dont les objectifs sont de libérer la parole, d’exprimer les émotions, de les comprendre et de les accepter, d’identifier les ressources internes et externes de chacun. Un travail qui les aide à faire face aux traumatismes vécus et à leur quotidien en temps de guerre.
Parmi les symptômes observés par les tuteurs de résilience lors de leurs interventions : l’anxiété, le repli sur soi ou, au contraire, le déni associé à une surexcitation. La nostalgie aussi de la vie passée, des lieux quittés, notamment pour les enfants déplacés ou ceux obligés de vivre dans des logements précaires à deux pas de leur maison détruite par les bombardements.
« Lors d’un atelier, est arrivé un petit garçon fermé, inquiet. Sa mère ne réussissait plus à entrer en contact avec lui et, au début, nous non plus. Nous l’avons vu trois fois et, à force de participer aux activités, il a commencé à parler. Et puis, il a osé nommer ses peurs, ses émotions et a compris qu’il avait le droit de ressentir tout ça, que ce n’était pas un signe de faiblesse d’en parler, bien au contraire. Ça l’a libéré », explique Olga, autre tutrice de résilience.
Un soutien psychologique « qui représente beaucoup pour eux »
La venue de WCU permet aussi aux enfants et adolescents d’échanger avec des psychologues et entre eux sur des sujets du quotidien, sources d’inquiétude. Un exemple donné par Varvara Melaniia : « Plusieurs jeunes nous ont confié leur anxiété quand l’alerte se déclenche alors qu’ils sont chez eux. Car ils ne savent plus quoi faire. Eux veulent se mettre en sécurité dans les abris mais leurs parents, non, lassés de faire sans cesse le déplacement. Les ados ont peur et le choix est terrible pour eux. Rester avec leurs parents ou s’écouter et se mettre en sécurité, avec le risque qu’en sortant toute leur famille soit morte. »
Pour les aider à faire face à toutes ces situations traumatiques, un soutien psychologique rapide est primordial. « Et même si nous n’arrivons à nous rendre qu’une fois dans les villages les plus éloignés, les plus isolés, nous pensons qu’il faut le faire. Cette aide représente beaucoup pour eux. »
*Ce projet, appelé « le parapluie qui voyage » inspiré d’une activité de résilience, est soutenu par la région Ile de France.
**Déclenchées peu après le décollage des avions de leur base russe jusqu’à leur retour, les alertes aériennes durent souvent plusieurs heures.
***Jusqu’à présent, WCU s’est rendu à plusieurs reprises dans sept villages.