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L’offensive de l’Azerbaidjan au Haut-Karabakh le 19 septembre fait suite à plus de neuf mois d’isolement du territoire en raison de la fermeture par l’Azerbaïdjan du corridor de Latchine, seule route le reliant à l’Arménie. La peur pour les 120 000 habitants, dont 30 000 enfants, isolés et dépourvus de tout (nourriture, médicaments, carburants…) est grande.
L’offensive de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh le 19 septembre fait suite à plus de neuf mois d’isolement du territoire en raison de la fermeture par l’Azerbaïdjan du corridor de Latchine, seule route le reliant à l’Arménie. La peur pour les 120 000 habitants, dont 30 000 enfants, isolés et dépourvus de tout (nourriture, médicaments, carburants…) est grande. Photo : habitante du Haut-Karabakh, 2 septembre ©David Ghahramanyan
Publié le

21 septembre 2023. Lettre de notre collègue arménienne sur la situation au Haut-Karabakh

Nous partageons aujourd’hui une lettre de notre collègue arménienne, Armine, psychologue chez Arevamanuk, notre partenaire dans ce pays. Elle réagit à l’offensive lancée mardi par l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh, au cessez-le feu signé mercredi, à une situation conflictuelle qui dure depuis trop longtemps, un sentiment de danger perpétuel qui l’épuise. Merci à elle pour ces mots rédigés hier.

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« Nous sommes le 21 septembre, jour férié en Arménie, jour de l’indépendance. Je ne pouvais pas rester à la maison, j’ai donc décidé d’aller au bureau, fatiguée, inquiète. Ce qui se passe depuis la fin de la guerre des 44 jours, il y a presque trois ans, est une agression lente de notre terre. Nous perdons des territoires, tant au Karabakh qu’en Arménie. Nous subissons des massacres, des blocus, de terribles souffrances psychologiques. Et ces derniers jours, se dessine le spectre du génocide. Un processus que je reconnais. Il était dans les histoires sans fin de ma grand-mère.

Aujourd’hui, il y a officiellement 200 tués et 400 blessés. Hier, les autorités du Haut-Karabakh et de l’Azerbaïdjan ont signé un cessez-le-feu, sans l’Arménie, mais les tirs n’ont pas cessé. Dans certains quartiers de Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh, les actions militaires intensives sont moindres, mais le danger est là. De nombreux villages ont aussi été pris par la force et les habitants fuient vers la capitale. Certaines communes sont désormais vides ou presque vides. Des personnes âgées ne veulent pas quitter leurs maisons.

Une partie des réfugiés se trouve dans l’ancien aéroport sous le contrôle des forces russes, une autre partie s’est regroupée près des bâtiments gouvernementaux dans le centre de Stepanakert. Des personnes sont aussi portées disparues, notamment des enfants. Lorsque les bombardements ont commencé mardi, il était 13 h ; les enfants revenaient de l’école. Dans la panique, certains se sont perdus. Un service d’assistance téléphonique pour les retrouver a été mis en place par les autorités russes et celles du Haut-Karabakh.

Des premières négociations ont eu lieu aujourd’hui. Mais nous n’avons pas encore de nouvelles. Les communications avec le Haut-Karabakh sont très mauvaises. L’électricité, et le gaz aussi, sont coupés là-bas. Le premier ministre arménien a déclaré que les familles de réfugiés pouvaient se rendre en Arménie, prête à en accueillir au moins 40 000. Mais le corridor de Lachine qui relie les deux territoires est fermé. Alors que faire…

Mes grands-parents ont perdu leur patrie en 1915. Cette terre s’appelle aujourd’hui la Turquie. Pour moi, c’est toujours l’Arménie occidentale, la patrie perdue !  Se faire prendre ses terres – une des étapes du génocide – brise. Et crée un fort sentiment d’injustice. Ce sentiment m’habite en tant que troisième génération de survivants du génocide.

Je comprends donc profondément mes compatriotes du Karabakh. Je comprends qu’ils vont sûrement devoir traverser l’incertitude, l’injustice, les pertes, les souffrances, l’absence de domicile, le désespoir. Tout cela sera après… Aujourd’hui, ils sont stressés, traumatisés, en deuil. Et moi, je ne sais quoi faire, assise à mon bureau, avec les histoires de ma grand-mère dans la tête.

À l’ère de l’intelligence artificielle et du respect des droits de l’homme, je ressens une dissonance cognitive. En 108 ans, les instruments utilisés pour commettre des violences inhumaines n’ont pas changé. 

Merci d’avoir lu ma lettre. »

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