Quelques pas de danse, une course effrénée vers une ligne d’arrivée imaginaire, des tentatives d’esquives pour éviter les défenseurs, des bras levés en signe de victoire… ou non, des éclats de rire et échanges taquins. Dans la cour du centre Sauvetage de DDE-CI* au cœur de Yopougon, une commune d’Abidjan, une vingtaine d’enfants en plein jeu collectif s’amusent à perdre haleine. Un spectacle réjouissant, notamment quand on connaît leur histoire.
« Nous sommes là pour les aider à se reconstruire »
Agés entre 5 et 18 ans, tous ont été victimes de violences. « Maltraitance, violence psychologique, traite, travail forcé… Ces enfants ont vécu des choses très dures. Nous les accueillons ici jour et nuit, suite à une décision des services de l’État, souvent pendant plusieurs mois. Nous sommes là pour les aider à se reconstruire », explique Rachel Otto, éducatrice au centre Sauvetage.
DDE-CI les prend ainsi en charge sur les plans psychologique, médical, socio-éducatif**. « Beaucoup d’entre eux sont effrayés, n’ont plus confiance en l’autre et ont une piètre image d’eux-mêmes, explique Ludovic Manoua, le psychologue de la structure. Nous travaillons donc beaucoup là-dessus avec eux au cours d’entretiens individuels et de séances de groupe. L’écoute, la patience sont essentielles. Nous avançons au rythme de chacun. »
L’histoire de Mireille, 14 ans, exploitée, maltraitée
Mireille est l’une de ces enfants. Elle a 14 ans et vient de vivre près de deux ans de maltraitance. Chez sa tante paternelle. « Ma maman est morte quand j’avais 7 ans. Quelques temps après, je suis allée vivre chez ma tante maternelle à Daloa avec mes deux petits frère et sœur. Un jour, la sœur de mon père est venue au village. Elle a demandé que je vienne vivre avec elle à Abidjan. Mon père a dit oui. » Le début d’un long calvaire.
La fillette est retirée de l’école. Elle passe ses journées entre les travaux domestiques et la vente d’œufs. « Quand je n’arrivais pas à vendre tout, elle me frappait. Quand le ménage n’était pas bien fait, elle me frappait. C’était tout le temps… Un jour, elle m’a battue avec le pilon, je me suis enfuie. » Trouvée dans la rue par une dame, elle est alors confiée à une vendeuse de poisson fumé qui, elle aussi, l’exploite. Malnutrie, « en piteux état », elle finit par être emmenée auprès du service de protection de l’enfance.
Hébergée au centre Sauvetage depuis quatre mois, Mireille dit aller mieux. Elle aime les cours de remise à niveau, la lecture, le théâtre et souhaite retourner à l’école. Elle apprécie aussi la compagnie des autres enfants. « Ce dont elle a le plus envie aujourd’hui, précise Ludovic Manoua, c’est de retrouver son frère et sa sœur mais, pour l’instant, elle ne nous donne pas assez d’informations. Elle ne se souvient plus du nom de sa tante maternelle, de son quartier, et n’arrive pas à nous communiquer ceux de sa tante paternelle pour que nous avancions dans nos recherches. Elle est encore trop effrayée. Et a peur d’être renvoyée là-bas. »
Retrouver les familles et renouer les liens parents-enfants
Tout en aidant les enfants à développer leur résilience, DDE-CI s’attache en effet à retrouver les familles. Mais pas question, bien sûr, de laisser l’enfant dans un environnement à risque. Les parents sont reçus, écoutés et suivent des ateliers de parentalité positive. Un travail sur les liens entre les parents et l’enfant est mené. « Nous n’abandonnons pas l’enfant à un parent violent ou susceptible de le renvoyer chez un membre de la famille maltraitant, explique Rachel Otto. C’est aussi dans cette optique que nous proposons aux parents les plus démunis de les soutenir dans le développement d’une activité génératrice de revenus (AGR). Beaucoup d’enfants maltraités sont en effet victimes du système de confiage. C’est-à-dire que les parents, en trop grande difficulté au village, confient leur enfant à un membre de la famille en ville qui, au final, se montre maltraitant. »
Depuis le début de l’année, neuf mamans ont été accompagnées en vue de retrouver leur autonomie financière et de pouvoir prendre en charge leur enfant. Le nourrir, l’inscrire à l’école, prendre soin de lui… « Dans tous les cas, qu’il y ait AGR ou non, le suivi des familles est essentiel pour vérifier que l’enfant va bien, qu’il grandit bien. »
*Dignité et droits pour les enfants – Côte d’Ivoire. Partenaire du BICE avec lequel le projet multi-pays Enfance sans violences est mené dans le pays. Deux objectifs : contribuer à rompre le cycle de violence et de délinquance impliquant les enfants et en réhabiliter les victimes.
** Précisons qu’actuellement, en raison d’une nouvelle procédure administrative et financière, aucun nouvel enfant ne peut être accueilli et hébergé dans les centres d’accueil. Les centres sont dans l’attente d’une clarification de la procédure.