Quelle enfant avez-vous été ?
Soeur Marie-Stella : Bien que chrétien, mon papa avait trois femmes et quinze enfants, il ne pouvait pas subvenir à nos besoins à tous. À six ans, mon petit frère et moi avons dû quitter la maison pour aller vivre chez un oncle à près de 500 kilomètres. Son épouse ne nous supportait pas. Elle nous maltraitait, nous réveillait à l’aube pour nous faire travailler. Je m’endormais en classe tant j’étais fatiguée. C’est ma foi chrétienne qui m’a permis de tenir. À mes douze ans, j’ai pu aller en vacances chez mon papa et lui ai dit que je ne voulais plus retourner là-bas. L’une de mes soeurs, infirmière, a proposé de me prendre chez elle, le temps que je termine ma scolarité.
Est-ce de cette expérience qu’est né votre engagement pour les enfants ?
Quand je vivais chez ma soeur, j’allais à l’église tous les jours et j’étais frappée par l’attention portée aux enfants par Jésus. Il disait : « Ce que vous faites aux plus petits, c’est à moi que vous le faites. » Quand j’ai eu 18 ans, j’ai voulu devenir religieuse et m’engager auprès de ceux qui souffrent, moi qui avais échappé à cette souffrance, alors que j’aurais pu tomber dans la prostitution, la délinquance. Je ne voulais pas que d’autres enfants subissent la même souffrance sans avoir la force de la surmonter.
Pourquoi spécialement les enfants atteints de VIH ?
Je faisais mes études d’infirmière en Belgique quand j’ai appris que mon frère avait le Sida. À l’époque, en Afrique, les orphelins du VIH étaient considérés comme les enfants du malheur, et s’ils étaient atteints, on voyait en eux une menace et on les laissait mourir. De retour au Togo, j’ai créé mon association pour m’occuper d’eux. La société a besoin des malades autant que des bien portants, de ceux qui ne correspondent pas à son idéal, car ce sont eux qui nourrissent en nous l’amour et la tendresse. Maggy, la première fille que j’ai accompagnée, a aussi beaucoup compté dans mon engagement. Elle me disait : « Ma Mère, la mission que tu t’es donnée est très délicate. Tu auras beaucoup d’enfants, parfois difficiles. Il te faudra assez de patience pour ne jamais abandonner un enfant parce qu’il est difficile. » Cette adolescente rongée par le VIH a donné le sens de tout mon engagement. Nous avons besoin que les enfants nous interpellent pour nous aider à revenir à l’essentiel. Et les enfants qui le font ne sont pas forcément les mieux portants ni les plus intelligents, mais souvent ceux dont la société pense qu’ils ne vont pas réussir.
Vous voulez créer un lieu d’accueil à Lomé…
Oui, pour les enfants abandonnés dans les rues, afin de les aider à retrouver leurs familles et leur permettre ainsi de se reconstruire. Cela complèterait également l’éducation de nos jeunes qui étudient à l’université en leur donnant une chance de prendre en charge leurs petits frères. Nous souhaitons qu’ils entrent dans la dynamique de l’éducation pour que chaque enfant — car c’est chaque enfant et non pas un groupe d’enfants — ait un avenir. Je pense qu’un enfant de perdu, c’est toute une humanité qu’on perd. Et si un enfant est malheureux, c’est toute l’humanité qui s’en trouve plus malheureuse.
Quelles sont vos craintes et vos espoirs pour les enfants ?
En Afrique, beaucoup de parents ne sont pas allés à l’école. Ils voient leurs enfants s’instruire, manipuler des téléphones, parler un autre langage… Ils se sentent dépassés et ont tendance à abandonner leurs responsabilités. Or nous, parents, tuteurs, ne devons jamais nous fatiguer de répéter les mêmes choses aux enfants. Car un jour, ils se rappelleront ce que nous leur aurons dit. Mon espoir, ce sont les enfants eux-mêmes. À l’association, nous les éduquons à prendre la relève. L’avenir de l’humanité se trouve entre les mains des enfants et nous avons la responsabilité de leur montrer le bon chemin, de les éclairer.
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