« Nous n’avons plus de clients dans nos ateliers. Les effets de la pandémie se font clairement ressentir et nous n’arrivons pas depuis quelques mois à vivre de notre activité de couturière ou coiffeuse. » Fabienne*, 17 ans, est l’une des 58 jeunes filles qui, après avoir été enrôlées dans des groupes armés ou exploitées dans des maisons de tolérance, ont été accompagnées et formées pendant un an par notre partenaire à Goma, la Fraternité laïque mariste Cœur sans frontières (CSF)**.
« Nous ne savions plus comment subvenir à nos besoins »
Mais voilà que tout juste « reconstruites », réinsérées dans la société et installées sur le plan professionnel, elles doivent de nouveau faire face à des difficultés liées à la crise sanitaire. « Depuis avril, nous étions très inquiètes. Nous ne savions plus comment subvenir à nos besoins, comment nourrir nos enfants. Certaines se voyaient déjà devoir retourner dans les maisons de tolérance pour survivre. L’aide de Cœur sans frontières et du BICE est un soulagement. »
Pour parer à l’urgence, les 21 jeunes filles qui sont aussi mamans vont recevoir dans les prochains jours pour leurs enfants une aide sur le plan alimentaire et sanitaire. De la farine vitaminée, du lait, du savon, des masques, des seaux… En parallèle, notre partenaire les accompagne dans le développement d’activités agricoles qui leur permettront d’être autonomes sur le plan alimentaire. Et de gagner de l’argent.
Cultures maraîchères et élevage de lapins
Cœur sans frontières va ainsi louer dès janvier quatre champs communautaires pour la culture du chou, de l’amarante, de l’aubergine et de la tomate à Masisi, dans le Nord-Kivu, une province à l’est de la RDC. Quatre clapiers pour l’élevage de lapins de race vont également être construits. « En concertation avec les jeunes filles, nous avons choisi le secteur de l’agronomie pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’elles ont toutes des connaissances, des savoir-faire dans ce domaine ; la région est en effet très agricole. Ensuite parce que ce seront les premières consommatrices de ce qu’elles produisent. Elles vont ainsi acquérir une certaine autonomie alimentaire. À terme, quand elles récolteront assez pour vendre, il est prévu qu’elles créent une association villageoise d’épargne et de crédit (AVEC) pour la gestion rationnelle de leurs gains », explique Sylvain Ndehya, président de CSF.
Construction d’une champignonnière
À Goma, chef-lieu de la province, où d’autres jeunes filles sont installées, le projet prévoit la construction d’un clapier à lapins et d’une champignonnière. Y pousseront des pleurotes. Cette culture hors sol et non-saisonnière est idéale du fait de la promiscuité avec la ville et de sa production en continu. « Tout comme l’élevage de lapins, la culture du champignon est une réponse rapide et efficace à l’insécurité alimentaire. Les jeunes filles devraient de surcroît bien vendre leurs productions. Les champignons sont très demandés dans les restaurants à Goma », ajoute Sylvain.
Les bénéficiaires seront ainsi accompagnées pendant les 15 prochains mois pour la mise en œuvre du projet qu’elles ont déjà largement participé à écrire. « Nous voulions qu’elles y adhèrent totalement, qu’elles se l’approprient afin qu’elles soient heureuses et fières de le mettre en place. C’est leur projet. »
*Le prénom a été changé
**Certaines des jeunes filles bénéficiaires de ce nouveau projet ont été accompagnées par CSF entre mai 2018 et avril 2019 ; d’autres entre mai 2019 et avril 2020.
Témoignage de Fabienne, 17 ans
« À 15 ans, alors que je rentrais des champs avec mes sœurs, j’ai été enlevée par des hommes armés. On m’a mariée avec le chef de ce groupe rebelle et je suis tombée enceinte. Lors d’un conflit au sein du groupe, le chef a été tué par son adjoint que j’ai ensuite dû épouser. Heureusement, un jour pendant des affrontements avec un autre groupe armé, j’ai réussi à m’enfuir. J’ai marché plusieurs heures, de nuit dans la brousse, avec mon bébé d’un an et demi dans les bras. Quand je suis enfin arrivée dans mon village, fatiguée, malnutrie, sale, ma famille m’a rejetée. Mon enfant et moi, nous représentions le mal, la honte. Nous étions montrés du doigt…
C’est un prêtre qui m’a parlé de Cœur sans frontières (CSF) un dimanche à la sortie de l’église. CSF m’a proposé de l’aide. J’ai accepté. Je suis allée avec eux à Goma. Ils m’ont trouvé une famille d’accueil et m’ont accompagnée sur le plan de la santé, sur le plan social, psychologique. Ils m’ont aidé à retrouver espoir en la vie, à accepter mon enfant que je n’aimais pas jusqu’alors, à m’accepter aussi. J’ai reçu une formation en couture puis du matériel pour lancer mon activité mais la pandémie m’a coupée dans mon élan. Ça a été dur. Aujourd’hui, avec ce nouveau projet, je retrouve espoir. »