Quelle a été votre enfance ?
Je suis le second d’une famille de huit. Mes parents travaillaient dans la coopération internationale, notamment en Bolivie où je suis né et où j’ai vécu jusqu’à mes six ans. Une partie de mes racines est là-bas. Le lieu où on grandit ainsi que le contexte familial sont déterminants. Dans mon cas, ils sont à l’origine de mon intérêt pour ce qui se passe dans le monde et de mon souci de l’autre.
Comment est né votre engagement en faveur des enfants ?
Quand j’étais jeune, le service militaire était encore obligatoire. Étant objecteur de conscience et ayant fait des études de travailleur social, j’ai effectué une mission de service civique à Infor Jeunes Bruxelles dont le rôle est de conseiller les jeunes dans tous les domaines de la vie. Très vite, j’ai compris qu’il fallait aller plus loin.
J’ai le souvenir d’un garçon qui avait été renvoyé de son école de façon abusive. Si nous nous étions contentés de lui écrire ses droits sur un papier à présenter au directeur de l’école, il se serait fait mettre à la porte. Dans de tels cas, j’accompagnais donc le jeune, je mettais le pied dans la porte et finissais par obtenir qu’on l’écoute. C’est ce qui m’a amené à créer ma première association, le Service droits des jeunes, puis en 1990, Défense des enfants international (DEI) – Belgique, la branche belge du mouvement du même nom dédié à la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant qui venait d’être adoptée.
Est-ce ainsi que vous êtes entré au Comité des droits de l’enfant des Nations unies ?
J’ai eu la chance de travailler dès le début avec les membres du Comité et de participer à des consultations. Quand j’ai été proposé pour y siéger, je ne pensais pas que l’État belge, auquel je m’étais si souvent opposé, soutiendrait ma candidature. J’ai pourtant été nommé en 2021. C’est un travail parfois frustrant car les changements sont lents et aléatoires, comme en Afghanistan où les avancées en matière de droits des filles ont été balayées en un jour. Mais il y a aussi des victoires, notamment grâce au troisième protocole* qui nous permet d’instruire des plaintes déposées par des enfants, de condamner l’État en cas de violation avérée et d’obtenir réparation, pour l’enfant plaignant et tous ceux dans la même situation. Je me souviens d’enfants d’une enclave espagnole au Maroc auxquels on déniait le droit d’être scolarisés. Grâce à notre intervention, 800 enfants ont eu accès à l’école.
Quels sont vos espoirs et vos craintes pour les enfants d’aujourd’hui ?
Mes craintes sont liées au fait que le Comité des droits de l’enfant est à la limite de ses capacités pour remplir ses obligations. Or, si nous trahissons la promesse faite aux enfants de respecter leurs droits fondamentaux, ils n’auront plus foi en la société. En Ukraine et à Gaza, personne, dans aucun des camps, ne se préoccupe des enfants qui sont en première ligne quand une école, un hôpital ou une aire de jeu est bombardé. J’observe également que nous revenons en arrière sur des acquis comme la place accordée à la parole de l’enfant. Nous devons nous réveiller collectivement pour défendre les valeurs auxquelles nous croyons.
Heureusement, beaucoup se mobilisent déjà et les résultats obtenus sont sources d’espoir. La justice internationale aussi s’est remobilisée. En Sierra Léone par exemple, le Tribunal pénal international a fait un travail extraordinaire en qualifiant de crime de guerre le recrutement d’enfants par les milices armées et en condamnant leurs auteurs. C’est un message fort envoyé à la communauté internationale et un espoir pour l’avenir. Nous ne pouvons accepter que les génocidaires restent au pouvoir et que les généraux qui ont encouragé les viols n’aient pas à rendre des comptes.
*Le troisième protocole facultatif a été adopté en 2014 pour renforcer la Convention relative aux droits de l’enfant.