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Classe organisée par le partenaire du BICE Coeur sans frontières dans un camp de déplacés internes près de Goma, à l’est de la RD Congo, septembre 2024.
Classe organisée par le partenaire du BICE Coeur sans frontières dans un camp de déplacés internes près de Goma, à l’est de la RD Congo, septembre 2024 © CSF

CONFLITS, PAUVRETÉ, DISCRIMINATIONS : 272 MILLIONS D’ENFANTS PRIVÉS D’ÉCOLE

L’accès à l’éducation se dégrade dans de nombreuses régions du monde, sous l’effet conjugué des guerres, des crises économiques et sociales, et de la baisse des financements internationaux. Le droit à une éducation pour tous s’éloigne et le nombre d’enfants non scolarisés augmente.

L’équipe de rédacteurs. Publié le
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Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale le nombre de conflits armés actifs n’a été aussi élevé1. En 2024, selon l’Unicef, environ 473 millions d’enfants, soit plus d’un sur six, vivaient dans une zone en guerre. Avec, pour conséquences, des écoles régulièrement attaquées, occupées ou détruites, et des déplacements massifs de populations, en particulier des enfants.

Conflits armés : 52 millions d’enfants déscolarisés

Au Soudan, trois quarts des enfants d’âge scolaire, soit 13 millions sur 17, ne vont pas à l’école (Save the Children, 2025). En Syrie, après plus de 10 ans de guerre, l’Unicef estime à 2,4 millions le nombre d’enfants et adolescents, soit la moitié, privés d’éducation. À Gaza, ce sont environ 625 000 élèves du primaire et du secondaire qui n’ont plus accès à l’enseignement formel, d’après les Nations unies. La situation au Myanmar, au Yémen ou en République démocratique du Congo est tout aussi désolante.

Au Sahel, la progression de groupes terroristes djihadistes a provoqué la fermeture massive d’écoles, notamment dans les zones rurales. « On dénombre au Burkina Faso environ deux millions de personnes déplacées, dont plus de 50 % sont des enfants », précise l’Abbé Norbert Zongo, responsable du foyer d’accueil Nong Taba, partenaire du BICE. Ces familles rejoignent des zones où des classes peuvent être ouvertes mais sont surchargées. Il est donc impossible pour les élèves d’apprendre. »

En Afghanistan, le retour au pouvoir des Talibans en 2021 a marqué un coup d’arrêt brutal pour l’éducation des filles : leur accès au secondaire est tout simplement interdit. Selon l’Unesco, aujourd’hui, environ 2,2 millions d’entre elles, soit 80 %, ne sont pas scolarisées et près de 30 % n’ont jamais fréquenté l’école primaire2.

J’aime l’école et j’ai la chance d’y aller. Mais sans matériel, c’est difficile. Les autres enfants me regardent mal. Sans cahier, je ne sais pas quoi faire quand le professeur demande d’écrire.

Fikiri du Kivu en RD Congo

Une tendance mondiale préoccupante

À l’échelle globale, 272 millions d’enfants étaient privés d’école en 20233 – soit 21 millions de plus qu’en 2021 (Unesco). Cette hausse contraste avec les progrès réalisés au cours des deux premières décennies du XXIe siècle, durant lesquelles le nombre d’enfants non scolarisés avait été réduit de près de 40 %.

« Cette augmentation récente est en partie due à de nouvelles estimations démographiques des Nations unies qui révèlent une croissance rapide du nombre d’enfants en âge scolaire, particulièrement en Afrique subsaharienne et dans certaines régions d’Asie », tempère l’Unesco. Autrement dit, même si les taux de scolarisation restent stables, le nombre absolu d’enfants privés d’école continue, lui, d’augmenter.

Cela étant, cette tendance tient aussi à des facteurs aggravants. Les conflits armés, déjà évoqués, en sont une cause majeure. La pandémie de covid-19 a elle aussi bouleversé les systèmes éducatifs. Selon Human Rights Watch, la fermeture des écoles n’a pas seulement suspendu l’éducation, elle a signé pour des millions d’enfants son arrêt définitif.

À ces chocs conjoncturels s’ajoutent des obstacles structurels persistants : pauvreté, discriminations, notamment à l’égard des filles, sous-investissement chronique. « Au Burkina Faso, l’insécurité, la pauvreté des familles et le poids de certaines traditions, qui considèrent encore que les filles notamment n’ont pas leur place à l’école, entravent l’accès à l’éducation », observe le père Zongo.

Il y a urgence à agir

Face à ces défis, les réponses doivent être quantitatives mais aussi qualitatives. Scolariser plus d’enfants ne suffit pas : il faut leur garantir un enseignement de qualité. Or, d’après la Banque mondiale (2022), 7 enfants sur 10, âgés de 10 ans, dans les pays à faible et moyen revenu, ne savent pas lire ni comprendre un texte simple. L’Unesco souligne aussi la pénurie de professeurs qualifiés et le manque d’infrastructures, surtout dans les zones rurales et marginalisées. « D’ici 2030, il faudra recruter 44 millions d’enseignants supplémentaires pour assurer une éducation de qualité pour tous », estime l’organisation. Selon Magali Chelpi-Den Hamer, anthropologue et chercheuse affiliée à l’Institut des mondes africains (IMA), le principal enjeu est d’éviter les ruptures de scolarisation, notamment lors du passage du primaire au secondaire. « L’investissement déjà réalisé par les familles et l’État ne doit pas être perdu. En Côte d’Ivoire, par exemple, l’État développe des collèges de proximité car la distance entre l’école et le domicile peut être un frein majeur. »

Élèves dans une école souterraine nouvellement construite à Kharkiv en Ukraine, avril 2025
Élèves dans une école souterraine nouvellement construite à Kharkiv en Ukraine, avril 2025 @ Andreas Stroh / Alamy

L’Unesco recommande aux États d’allouer entre 4 % et 6 % de leur PIB et 15 % à 20 % de leurs dépenses publiques à l’éducation. Or, de nombreux pays, confrontés à une dette élevée et à une pression budgétaire croissante, peinent à atteindre ces objectifs. Leurs marges de manoeuvre sont d’autant plus limitées que leurs économies reposent largement sur le secteur informel donc difficilement taxable.

À ces contraintes financières s’ajoute parfois un manque de volonté politique, qui relègue l’éducation derrière d’autres priorités. Et ce, alors que la Convention relative aux droits de l’enfant impose aux États de rendre l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous (article 28).

J’essaie de venir étudier tous les jours parce que je veux avoir un bel avenir pour moi et tous ceux qui m’entourent.

Keo Srey Ne d’un village isolé du Cambodge

Baisse des aides internationales

Autre signal d’alarme lancé par l’Unicef en septembre 2025 : la diminution des aides internationales. Estimée à 3,2 milliards de dollars d’ici 2027, elle pourrait priver 6 millions d’enfants supplémentaires d’école dès fin 2026. Une perspective préoccupante alors que les Objectifs de développement durable (ODD), prévoyaient, à l’horizon 2030, une réduction du nombre d’enfants non scolarisés de 165 millions. Pour l’anthropologue interrogée, ces chiffres globaux restent imparfaits, car ils masquent les disparités entre pays, villes et zones rurales. Mais, ajoute-t-elle, « ils ont le mérite de remettre l’éducation au centre du débat ».

Levier fondamental pour le développement – « Un dollar investi dans l’éducation génère entre 10 et 15 dollars de croissance du PIB », rappelle l’Unesco – l’éducation est aussi un puissant vecteur de paix et de cohésion sociale. Dans les colonnes de Vatican News en septembre 2025, Malala Yousafzai, militante pakistanaise du droit à l’éducation des filles, Nobel de la Paix 2014, le souligne avec force : « [L’école] nourrit l’espoir d’un avenir plus pacifique et plus équitable. C’est là que les enfants apprennent à penser de manière critique et à résoudre les problèmes. C’est là qu’ils se font des amis, développent de la compassion et apprennent à travailler avec les autres. Ces compétences sont essentielles pour lutter contre les injustices, comme la misogynie et la discrimination, et rappeler à chacun notre humanité commune. »


1 – Rustad Siri Aas. Tendances des conflits : un aperçu mondial, 1946-2024. Papier PRIO, Oslo, 2025
2 – Unesco. Afghanistan : 4 ans plus tard, 2,2 millions de filles toujours interdites d’école, août 2025
3 – Unesco. Tableau de bord des Objectifs de développement durable 2025

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