Marguerite Barankiste, Rwanda
« Je n’ai qu’un rêve : que chaque enfant puisse vivre en famille et dans la dignité »
« Je n’ai qu’un rêve : que chaque enfant puisse vivre en famille et dans la dignité. Il y a assez de richesses à partager dans le monde. C’est pourquoi je viens ici faire cet Appel. » C’est par ces mots, prononcés le 4 juin 2009 à Genève, que Marguerite Barankiste saluait l’Appel du BICE pour une nouvelle mobilisation pour l’enfance dont elle avait accepté d’être la marraine. Des mots qui traduisent l’engagement de toute une vie de celle qu’on surnomme « Maggy, l’ange du Burundi ». Grande femme élégante et souriante, Marguerite Barankiste a tenu tête aux pires violences.
Ainsi, le jour où, en représailles de massacres perpétrés par les Hutus, les siens, les Tutsis, veulent massacrer des familles réfugiées dans l’évêché, elle va au-devant d’eux pour les supplier de dépasser leur pulsion de vengeance. Mais, on ne l’écoute pas. Attachée sur une chaise, elle assiste impuissante à l’assassinat de 72 personnes, parmi lesquelles se trouve une amie qui lui a confié ses enfants en lui faisant promettre de les élever et de les aimer comme les siens. Marguerite Barankiste n’a de cesse depuis ce jour de recueillir les enfants, hutus comme tutsis, victimes innocentes de la folie des hommes, et de les élever dans la paix.
« Je leur ai appris à être la nouvelle génération qui va allumer la lumière du pardon et de la réconciliation. » Portée par cette ambition, elle plaide, convainc les donateurs, et bâtit la Maison Shalom, qui accueille et éduque quelque 30 000 enfants en 20 ans. En 2015, elle est menacée de mort et doit fuir le pays. Loin de baisser les bras, elle réussit à recueillir des enfants burundais au Rwanda où elle crée un nouveau lieu d’éducation et de paix.
Ce qui la porte infatigablement dans son combat ? « Ma foi en un Dieu qui est amour, en un Dieu qui dit ‘n’ayez jamais peur, j’ai vaincu la mort’ et qui me promet qu’il sera toujours avec nous, cette foi m’a donné l’audace de créer cet endroit qui porte le nom le plus beau ‘Oasis de paix’. »
Davy Tith, Cambodge
« La paix vient de la communauté humaine »
Peu de pays ont souffert comme le Cambodge sous le régime des Khmers rouges. Davy Tith a vécu cette période effroyable. Elle y a perdu une grande partie de sa famille, elle a vu les cadavres flotter dans les rivières. Et, au milieu des charniers, des centaines de ces petits pendentifs noirs que l’on met au cou des bébés pour éloigner le mauvais esprit. Petite-fille d’un maître bouddhiste, fille d’instituteur et institutrice elle-même, elle aurait pu être exécutée comme le furent tous les intellectuels du pays. Elle fait alors un serment : « Si je survis au régime de Pol Pot, je consacrerai le reste de ma vie à m’occuper des autres. »
C’est à la vue de l’état déplorable de l’hôpital de Battanbang, où elle conduit son fils malade, que sa vocation se confirme. « Je voyais les enfants pleurer parce qu’ils n’avaient pas de médicaments, rien à manger. Beaucoup d’entre eux avaient été mutilés par les mines qui étaient restées enfouies dans le sol. » Alors, elle quitte son métier d’interprète et crée Opérations Enfants du Cambodge, partenaire du BICE dont l’objectif est d’aider et d’éduquer ces enfants.
Pour les plus handicapés d’entre eux, l’association embauche des professeurs qui viennent leur faire l’école à domicile, à eux, ainsi qu’aux gamins du voisinage. C’est alors que Davy Tith découvre un autre problème : la discrimination dont sont victimes les enfants. On est en 1996. Davy Tith comprend qu’il faut non seulement éduquer les enfants, mais aussi sensibiliser les communautés aux droits de l’enfant. Son organisation compte alors quatre personnes ; elle va rapidement être rejointe par des travailleurs sociaux qui habitent les villages et peuvent ainsi agir directement au sein des communautés.
L’organisation compte jusqu’à près de 100 professionnels, grâce au soutien de nombreuses organisations dont le BICE… Cela fait aujourd’hui 22 ans que la frêle Davy Tith fait reculer l’ignorance et la maltraitance dans les régions particulièrement isolées du pays. Elle le fait par amour des enfants, par fidélité à la promesse qu’elle s’est faite d’aider les autres si elle survivait, mais aussi en mémoire de son grand-père, qui lui a appris la sagesse bouddhiste, et de son père instituteur. « Il me disait ‘sans connaissances, un homme n’est pas un homme, une femme n’est pas une femme’ ». Avec ses collaborateurs, elle oeuvre à reconstruire petit à petit le pays, convaincus que « la paix vient de la communauté humaine, pas de la politique, pas de la force, pas des fusils. »
Anna Bitova, Russie
« C’est un crime d’obliger les mères à abandonner dans des institutions leurs enfants handicapés »
Anna Bitova a à peine 15 ans quand elle découvre le travail d’orthophoniste. Elle sait aussitôt qu’elle y consacrera sa vie, ce qu’elle fait depuis 43 ans. « Le devenir des enfants en situation de handicap était déplorable dans notre pays, se souvient-elle. La plupart vivaient dans des institutions et ne recevaient aucune éducation. » C’est alors qu’avec un couple de parents et deux autres thérapeutes, Anna Bitova créent le CPC (Centre de Pédagogie Curative, partenaire du BICE).
« L’idée de départ était très simple, nous voulions offrir un endroit où ces enfants puissent recevoir l’accompagnement dont ils avaient besoin : séances d’orthophonie, soutien psychologique, enseignement adapté. Nous avons commencé avec 13 enfants. Mais très vite, nous avons été dépassés. Il venait chaque jour de nouvelles familles, si bien que nous avons demandé au gouvernement qu’il nous donne un lieu plus grand. » L’association, qui n’existe alors que depuis deux ans, se voit offrir un bâtiment de deux étages. Elle ne cessera de se développer depuis, ouvrant des centres dans d’autres villes et accueillant des milliers d’enfants par an. Ses missions s’élargissent également.
« Peu à peu, nous avons compris que les familles des enfants, et notamment les mères, avaient également besoin de soutien psychologique. Puis, nous avons vu qu’il fallait faire évoluer la législation restée très discriminante, notamment au niveau des régions. » Anna Bitova et ses associés se lancent dans un véritable plaidoyer pour que les enfants en situation de handicap aient accès à l’éducation. Mais aussi pour que les familles obtiennent des aides sociales. « Si l’on veut que les parents gardent chez eux un enfant avec un handicap lourd, il faut qu’ils puissent bénéficier d’aides à domicile. »
L’organisation a pris une telle ampleur et jouit d’une telle reconnaissance que, fin mars 2017, elle réussit à convier les représentants de quarante régions (soit la moitié de la Russie) a une conférence visant à améliorer les pratiques dans les institutions. « Aujourd’hui encore, alors que les lois éthiques l’interdisent, beaucoup de médecins ou d’infirmières poussent les mères qui accouchent d’un enfant handicapé à l’abandonner dans une institution. On observe aussi que dans les internats, dès que les enfants se montrent turbulents, on leur administre des neuroleptiques puissants qui entravent leur développement, et parfois même, on les attache… » Quand on lui demande combien d’enfants elle a aidé jusqu’à présent, elle rit : « Je n’ai jamais compté ! » Ce qui lui importe, c’est de faire avancer les choses.