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Maman qui donne le biberon à son bébé - dossier sur les familles monoparentales
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ENFANTS DE FAMILLES MONOPARENTALES, COMMENT RÉTABLIR L’ÉGALITÉ DES CHANCES ?

En France, dans une famille sur quatre, les enfants vivent avec un seul parent, leur mère dans la grande majorité des cas, en situation de précarité pour 45 % d’entre elles. Fin mai, des députés de différents bords politiques déposaient une proposition de loi visant à améliorer les conditions de vie de ces familles et rétablir l’égalité des chances entre tous les enfants. Avec la dissolution de l’Assemblée nationale, son examen, à la date de rédaction de l’article, est suspendu.

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Veuvage, abandon, séparation… Les raisons pour lesquelles un parent (à 82 %* une maman) se retrouve à élever seul son ou ses enfants sont le plus souvent subies. Tout le projet de vie est soudain à réinventer alors que les difficultés s’accumulent : baisse des ressources, divisées en moyenne par deux quand c’est la mère qui a la garde des enfants, problème de logement ou encore d’emploi. En retrouver un pour celles qui s’étaient consacrées aux enfants, en changer si les horaires ne coïncident pas avec ceux de l’école ou de la crèche. Tout ça, alors qu’on n’a plus une minute à soi et qu’il faut se remettre d’aplomb, suite parfois à de profonds traumatismes.

Des innovations et des idées

Cette réalité démographique, qui s’est développée les 30 dernières années, impose de s’adapter à plusieurs niveaux : législatif, social, politique. Mais la prise de conscience est lente, selon les mamans solos engagées dans cette cause.

Obligées pendant longtemps de ne compter que sur elles-mêmes, les cheffes de familles monoparentales ont dû prendre les devants en imaginant des solutions innovantes. Véritable pionnière, la journaliste Christine Kelly lançait dès 2014 la fondation K d’Urgences qui propose des aides financières. Plus récemment, Nathalie Moysan créait l’application Mama Bears, utilisée par quelque 60 000 mères seules. « Je cherchais à fédérer nos besoins et nos efforts, raconte-t-elle. L’application permet de repérer les familles monoparentales autour de soi, d’échanger des conseils, de se rencontrer, de se recréer un réseau amical et d’entraide. » La plateforme Team’Parents, imaginée par l’ancienne avocate en droit de la famille, Noémie Khenkine-Sonigo, offre quant à elle des ressources utiles et des conseils. Alors que l’association Moi & Mes enfants, créée par Olivia Barreau, ouvre des tiers-lieux qui offrent du répit aux parents solos (voir encadré).

Des idées, toutes ont eu l’occasion d’en faire part aux autorités publiques : défiscaliser la pension alimentaire et revoir son mode de calcul ; repenser l’obligation faite au parent principal de respecter le droit de garde de l’autre parent quand celui-ci (qui lui n’a aucune obligation) fait régulièrement faux bond ; favoriser l’accès au logement ou le développement d’autres modes d’habitat ; sensibiliser les entreprises pour qu’elles aménagent les horaires des parents seuls ; continuer à développer des solutions de garde d’enfants et de transport adaptées aux contraintes…

Aider les mamans pour préserver les enfants

Quelques mesures législatives ont été prises au fil des ans, comme l’Aide à la garde d’enfant pour parent isolé demandeur d’emploi (Agepi) en 2013 ou le dispositif qui, depuis 2023, permet à la CAF (Caisse d’allocation familiale) de faciliter le versement de la pension alimentaire. Fin mai 2024, un groupe de députés déposait un projet de loi visant à améliorer les conditions de vie de ces familles, alors que le Premier ministre, Gabriel Attal, confiait une mission en ce sens à deux députés dont Fanta Bérété. « Nous devons davantage tenir compte des besoins des parents isolés dans les politiques publiques », confie-t-elle. Parmi les actions envisagées, la création d’une carte famille monoparentale : « Elle permettrait aux parents solos de faire valoir leurs droits et de bénéficier d’avantages sans avoir à apporter les preuves de leur situation. Et aiderait les collectivités à mieux recenser ces familles afin qu’elles puissent adapter leur offre en termes de crèches, de logements, de transports… » Autant de projets en suspens depuis la dissolution.

Qu’en sera-t-il d’ailleurs de la place de ce sujet dans les mois à venir ? C’est un véritable enjeu social. En effet, selon l’étude Séparation des parents : un risque accru de pauvreté pour les enfants ? publiée par l’INEED en 2023, pendant l’année de la séparation de leurs parents, les enfants ont cinq fois plus de risques d’entrer en précarité. L’étude révèle également que la baisse du niveau de vie des enfants est deux fois plus importante quand ils habitent avec leur mère ; cela d’autant plus si la séparation intervient quand ils sont très jeunes.

Le dispositif 1 000 premiers jours a été mis en œuvre pour cela en 2021. Selon Fanta Bérété, « il permet d’identifier les familles fragiles dès la grossesse afin de leur proposer tout un accompagnement social pendant les trois premières années de l’enfant. Les couples en difficultés peuvent également recourir à la médiation familiale pour bien peser le pour ou le contre d’un divorce. » Selon Noémie Khenkine-Sonigo pourtant, contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, la séparation en elle-même n’est pas forcément la cause des difficultés, notamment scolaires, observées chez les enfants de familles monoparentales. « Les trois facteurs massifs de risques pour le développement de l’enfant, que les parents soient séparés ou non, précise-t-elle, sont la précarité, le niveau de conflictualité entre les parents et la santé mentale des parents. »

Encourager la coparentalité

« Quand les pères sont totalement absents ou n’assurent pas leur tour de garde, c’est très difficile pour les mères qui pensaient avoir un peu de temps à elles pour souffler, constate Olivia Barreau. Quant aux enfants, c’est une déception terrible, qui entraîne souvent une perte de confiance en eux. »

« La coparentalité est un vrai sujet, confirme Noémie Khenkine-Sonigo, se référant à son expérience d’avocate des familles. Il faut un renversement de culture pour que le second parent prenne la mesure de sa responsabilité vis-à-vis de l’enfant. Cela suppose de former des professionnels, mais aussi de mettre les moyens pour que les magistrats aient le temps d’analyser chaque situation afin de fixer des plannings de garde des enfants adaptés aux besoins, ce qui est rarement le cas. » Si la solution de la garde alternée, retenue dans 12 % des séparations, n’est pas toujours possible, il apparaît en effet primordial pour l’enfant (s’il n’y a pas de violences bien sûr) que son éducation reste de la responsabilité de ses deux parents.

* Données INSEE, 2020.

Mama bears : https://www.mama-bears.fr/
Team’Parents : https://www.teamparents-app.com/

Des tiers-lieux où refaire famille autrement

Des tiers-lieux parisiens permettent aux mamans seules de se poser un peu pendant que leurs enfants s’amusent au sein d’une sorte de fratrie élargie. Visite dans le 15e, un dimanche après-midi de fête des mères. Se faire du bien, prendre un temps pour soi, c’est une véritable mission quand on est le seul parent à s’occuper des enfants au quotidien. Elle-même cheffe de famille monoparentale, Olivia Barreau sait que le répit est indispensable pour rester debout sous le poids de la charge mentale. Les tiers-lieux qu’elle a créés à Paris comportent ainsi un espace où ces mamans, et quelques rares papas, partagent leurs galères et leurs bonheurs entre adultes, et un autre où les enfants peuvent jouer ensemble et tout oublier des lourds soucis qui ne sont pas de leur âge.

Fillette qui a dessiné un cœur en confiture sur sa tartine - dossier sur les familles monoparentales

En ce dimanche après-midi, c’est jour de fête des mères dans le 15e, à deux pas de la Tour Eiffel. Une douzaine de femmes sont réunies autour d’un goûter dans la pièce vitrée qui donne sur la rue. Certaines sont des habituées, comme cette maman heureuse de pouvoir égayer ici les dimanches de son fils de six ans dont le papa n’est plus présent.

Violence conjugale, abus sexuel, abandon, espoirs cruellement déçus, choix assumé bien que pas toujours facile… ce que ces femmes racontent, en toute complicité malgré les différences d’âges, d’origine ou de religion, contraste avec les cris joyeux qui viennent d’à côté : deux grandes salles de jeu, avec un coin cuisine. Les enfants ont de 17 mois à 16 ans, sorte de grande fratrie où on lit à plusieurs, fait les fous, où les aînés gardent un œil sur les plus petits et aident les animatrices à ranger. Ce jour-là, ils ont concocté une confiture d’amour : de mots doux de toutes les couleurs mis en bocaux joliment décorés. Il est bientôt l’heure de les offrir aux mamans et de rentrer. À regret. Preuve, s’il en fallait, que cette façon de faire famille répond à un besoin de lien pour les enfants.

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