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enfant travailleur au Pérou
© T. Louapre / BICE, Pérou
Publié le

État des lieux des droits de l’enfant en Amérique latine et Caraïbes. une situation critique

Rencontre avec Angela Gabriela de León et Carlos Alarcón Novoa du Bureau des droits de l’homme de l’archevêché de Guatemala (ODHAG), partenaire du BICE au Guatemala et coordinateur du réseau du BICE-Amérique centrale, à l’occasion des 35 ans de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE, aussi appelée CIDE en France). Ils décrivent l’alarmante situation des droits de l’enfant en Amérique latine et Caraïbes.

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Quelle est la situation actuelle des droits de l’enfant dans votre région ?

ODHAG : Monseigneur Juan Gerardi, assassiné en 1998 pour sa défense acharnée des droits de l’homme au Guatemala, a déclaré qu’ « il n’y a pas d’indicateurs sociaux plus clairs concernant le développement d’un pays que ceux qui se réfèrent aux enfants. Car ils montrent la bonne santé ou non d’un peuple. Ils reflètent l’équilibre ou le déséquilibre d’une société ».

35 ans après l’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui soutient l’effectivité de ces droits pour plus de 190 millions d’enfants vivant en Amérique latine et dans les Caraïbes, il est nécessaire de connaître certains indicateurs qui résument la dure réalité et son immense contraste avec les Objectifs de développement durable (ODD) pour 2030 :

ODD 4 – Toutes les filles et tous les garçons ont accès à l’éducation.

En Amérique latine et Caraïbes

  • 4 enfants sur 10 âgés de 3 et 4 ans n’ont pas accès à une éducation préscolaire, une situation qui s’aggrave dans les zones rurales, où ce chiffre peut atteindre 7 ou 8 enfants sur 10.
  • Près de 12 millions d’enfants et d’adolescents en âge d’être scolarisés sont hors du système éducatif.
  • 30 % des enfants et adolescents en situation de handicap ne vont pas à l’école.
  • 1 enfant de moins de 5 ans sur 20 est laissé seul ou sous la garde d’un enfant de moins de 10 ans.

ODD 16.2 – Tous les enfants sont protégés contre les violences et l’exploitation.

En Amérique latine et Caraïbes

  • 1,1 million d’adolescents (15-19 ans) ont été victimes de violences sexuelles depuis leur enfance.
  • Le taux d’homicide parmi les enfants et les adolescents est 5 fois plus élevé dans la région que la moyenne mondiale ; 25 000 enfants ou adolescents sont victimes d’un homicide chaque année.
  • 240 000 enfants grandissent dans des institutions, dont 10 % ont moins de 3 ans. 
  • Au niveau mondial, 15 % de la population migrante sont des enfants ou des adolescents, alors que dans la région, ce pourcentage est de 25 %. 7,9 millions de migrants ont moins de 18 ans en Amérique latine et dans les Caraïbes, pour des raisons multiples, telles que la pauvreté et la violence.

ODD 1, 2 et 3 – Pas de pauvreté, faim « zéro », bonne santé et bien-être.

En Amérique latine et Caraïbes

  • 4,8 millions d’enfants de moins de 5 ans souffrent de sous-alimentation chronique et 4 millions d’enfants de moins de 5 ans sont en surpoids.
  • Un enfant meurt toutes les trois minutes, dont 55 % au cours des 28 premiers jours de vie.
  • 3,6 millions d’enfants âgés de 3 et 4 ans présentent un retard de développement.

ODD 10 – Inégalités réduites. Tous les enfants ont les mêmes chances dans la vie.

En Amérique latine et Caraïbes

  • 29 % de la population vit dans la pauvreté. Ce taux grimpe à 46,2% pour les filles et les garçons âgés de moins de 14 ans. La plupart d’entre eux habitent des zones rurales éloignées ou des environnements périurbains marginalisés.
  • Les naissances de 3 millions d’enfants de moins de 5 ans n’ont jamais été enregistrées.

ODD 13 – Lutter contre les changements climatiques. Tous les enfants vivent dans un environnement sûr.

En Amérique latine et Caraïbes

  • 2,1 millions d’enfants sont touchés par des catastrophes naturelles ou provoquées par une mauvaise gestion de l’environnement chaque année.
  • 9 enfants sur 10 ont été exposés à au moins deux événements météorologiques graves. Environ 1,5 million d’enfants ont été affectés tant d’un point de vue physique que psychologique (anxiété, dépression, stress post-traumatique).

Votre état des lieux est alarmant. Dans ce contexte, que dire du rôle de la Convention relative aux droits de l’enfant ?

ODHAG : Le 20 novembre 1989 marque un avant et un après en termes de normes internationales visant à garantir, protéger et promouvoir les droits des enfants et des adolescents. La Convention relative aux droits de l’enfant est pour cela indispensable.

Elle a permis, dans la plupart des pays de la région, l’adoption d’une législation qui protège les droits de l’enfant. Mais il est nécessaire de rendre ces lois opérationnelles, de fournir des budgets adéquats pour les appliquer de façon effective. L’engagement et la volonté politique des défenseurs des droits de l’enfant sont essentiels pour le présent et l’avenir de nos sociétés.

Y-a-t-il eu des reculs ces dernières années dans la région Amérique latine-Caraïbes, en raison de la covid-19 et des crises économiques ?

ODHAG : Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), avant la pandémie, 71 millions d’enfants et d’adolescents vivaient dans la pauvreté en Amérique latine et dans les Caraïbes. En 2023, ils étaient 16 millions de plus. Ce qui signifie un recul de 20 ans. Avec, pour conséquences, un moindre accès aux programmes de protection sociale, à la santé, à l’éducation, etc.

En outre, la pandémie et ses conséquences ont considérablement affecté les enfants et les adolescents. Le confinement, le décès d’un parent proche, les tensions intrafamiliales… ont engendré de l’anxiété, de la solitude, de la tristesse qui affectent leur santé mentale. Et donc leur développement intégral.

Quel est l’impact de la pauvreté sur les droits de l’enfant ?

ODHAG : L’aggravation de la pauvreté a entraîné une détérioration alarmante de la vie des populations, en particulier les plus vulnérables comme les enfants.

La pauvreté génère souvent des conditions de vie insalubres, de la malnutrition, des difficultés à accéder à l’eau potable, un accès limité ou inexistant à l’éducation et à l’information. Elle est aussi l’une des causes du travail des enfants et de la désintégration des familles en raison des migrations économiques. La migration de mineurs non accompagnés a fortement augmenté ces dernières années.

Comment améliorer la situation ? Y-a-t-il des actions à prioriser ?

ODHAG : L’une des caractéristiques des droits humains est qu’ils sont interdépendants. Cependant, certains sont plus souvent violés et affectent plus largement la vie des enfants et des adolescents. Nous pourrions donc déjà mettre l’accent sur le droit à la vie et à la croissance intégrale dès les premières années. Car si l’enfance est peu prise en compte, la petite enfance l’est encore moins. Des politiques spécifiques sont nécessaires pour une prise en charge globale. Cela induit notamment :

  • l’universalisation du suivi des grossesses et, plus généralement, l’amélioration de l’accès aux soins. Les inégalités dans ce domaine sont importantes et liées à des facteurs tels que le territoire, l’ethnie, le statut. Il est nécessaire d’augmenter la couverture et la qualité des soins. Il faut des politiques préventives, pas seulement curatives.
  • l’amélioration de la nutrition. Il est inacceptable que des enfants continuent de mourir de faim. Et que la moitié des enfants de moins de 5 ans dans des pays comme le Guatemala et Haïti souffrent d’un niveau significatif de malnutrition.
  • le développement de l’éveil des petits. En matière d’éducation, la dette envers les enfants et les adolescents est importante, non seulement en raison du manque d’offres adaptées, mais aussi à cause de l’entrée trop tardive des enfants dans le système scolaire. De manière générale, il est primordial d’améliorer la qualité de l’éducation et de lutter contre l’abandon scolaire. Il est inconcevable que ce droit ne soit pas davantage pris en compte et que les enfants soient exclus d’un système crucial pour leur développement et leur projet de vie, en particulier les enfants des zones rurales.

Le droit à une vie sans violences est également l’un des droits prioritaires à défendre en Amérique latine et aux Caraïbes, où la violence a été « normalisée ». Nous ne pouvons concevoir, ni accepter, que 68 enfants et adolescents meurent violemment chaque jour dans la région. Il est donc nécessaire de revoir et de faire progresser les politiques visant à lutter directement contre les abus et la maltraitance des enfants.

Notre dette envers les enfants et les adolescents est considérable et cruelle. Il est urgent que tous les acteurs unissent leurs forces pour leur garantir une vie digne.

Notons aussi que la participation des enfants est l’un des principes fondamentaux de la Convention relative aux droits de l’enfant. Il est essentiel qu’ils puissent l’exercer afin de renforcer les actions en leur faveur.

Concernant la participation des enfants justement, celle-ci a-t-elle progressé en Amérique latine ces dernières années ?

ODHAG : Il est tout d’abord important et nécessaire de réfléchir à ce que nous entendons par participation, surtout 35 ans après la promulgation de la Convention. Il est désormais essentiel de considérer la participation dans un monde globalisé et marqué par le numérique et les réseaux sociaux.

Dans une certaine mesure, la participation des enfants a progressé dans notre région. Principalement dans les milieux urbains. Nous considérons que les espaces d’éducation aux droits humains jouent un rôle important. Certains enfants, surtout les adolescents, réussissent bien à s’organiser et à revendiquer une plus grande participation dans les cercles où ils évoluent.

Cependant, si nous nous référons aux zones les plus reculées, la participation des enfants n’est pas une réalité. Ils n’ont ni accès à l’information ni à l’éducation. Et la question de la pauvreté que nous avons mentionnée précédemment limite le respect de ce droit.

Pour une organisation comme la vôtre, l’ODHAG, quels sont les principaux défis, les principales initiatives à mener ?

ODHAG : En matière de prévention – qui avec des institutions corrompues est un chemin long à parcourir -, il est important de continuer à renforcer la protection intégrale des enfants et des adolescents. Un axe fondamental. Nous le faisons à travers la formation dans des domaines variés : les différentes formes de violence et comment s’en prémunir, la parentalité responsable, l’intelligence émotionnelle, les droits de l’enfant, l’égalité des sexes, la non-discrimination, etc. Selon les sujets abordés, nos populations cibles sont les enfants et les adolescents, les parents, les soignants ou les professionnels de l’enfance.… 

Nous considérons en effet l’éducation aux droits comme un volet essentiel, permettant de faire évoluer les mentalités, avancer les sociétés. Bien sûr, cela doit être mené en coordination avec d’autres organismes afin d’apporter un soutien opportun aux bénéficiaires. Une aide humanitaire et du matériel scolaire notamment. Ce sont des actions simples peut-être, mais significatives pour les populations cibles, celles qui sont peu visibles.

D’autre part, le plaidoyer en faveur des enfants et des adolescents doit être renforcé afin d’exiger l’application des lois existantes et le vote de réformes quand cela est nécessaire. Pour cela, les demandes adressées aux gouvernements doivent être permanentes.

La situation dramatique des enfants est une réalité que les sociétés centrées sur les adultes sont en train de laisser derrière elles. Nous devons donc travailler à la rendre visible, sensibiliser et former tous les secteurs de la société afin que nous menions tous ensemble des actions concrètes en faveur des enfants.


Sources

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