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AGR agricole au Togo dans le cadre d'EsB3
Petit élevage développé par un jeune bénéficiaire du projet ©BNCE-Togo

Justice juvénile au Togo. initiatives du BICE, progrès et défis

Le projet Enfance sans Barreaux 3 (2023-2026) entre dans sa dernière année de mise en œuvre au Togo, en Côte d’Ivoire et en République démocratique du Congo. Entretien avec Marc Afangnon Tsandja, directeur du BNCE-Togo, qui revient sur les progrès accomplis et les obstacles encore à surmonter en matière de justice juvénile dans son pays.

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Pourriez-vous nous faire un état des lieux de la situation de la justice juvénile au Togo ?

La justice juvénile au Togo a connu des avancées notables ces dernières années. Depuis environ cinq-six ans, elle gagne en structuration. Chaque tribunal dispose désormais d’un juge pour enfants et un tribunal dédié aux mineurs a été instauré dans la capitale, Lomé. Plus récemment, ce tribunal s’est enrichi de la présence d’assesseurs, nommés à la suite d’actions de plaidoyer que nous avons menées avec d’autres organisations de la société civile.

Marc Afangnon Tsandja, directeur du BNCE-Togo
Marc Afangnon © T.P / BICE

Le Togo dispose également de deux centres d’accès aux droits à la justice pour enfants à Lomé et à Kara. Ces structures multiprofessionnelles prennent en charge les mineurs en conflit avec la loi sur divers aspects – juridique, social, éducatif… – et les accompagnent vers la réinsertion. 150 à 200 enfants se retrouvent devant la justice chaque année au Togo.

Quels sont pour vous les principaux problèmes qui perdurent ?

La lenteur administrative dans le traitement des dossiers des mineurs est un problème récurrent. De plus, les mesures alternatives à la privation de libertés ne sont pas suffisamment prises. Il y donc encore trop d’enfants dans les centres fermés et notamment dans les quartiers pour mineurs à l’intérieur des prisons. Cela constitue donc un risque de contacts avec les adultes. Notons que les filles sont parfois, encore aujourd’hui, mélangées avec les femmes.

Tout cela découle du fait que la stratégie nationale peine à être budgétisée et mise en œuvre. Le manque de budget se ressent également en matière de réinsertion des enfants ayant été en conflit avec la loi. Il existe des directives de justice juvénile, des guides sur l’intégration sociale, mais trop peu de moyens pour les appliquer.

Enfin, les enfants en conflit avec la loi sont encore fortement stigmatisés ce qui ne favorise pas leur réinsertion. Certains parents, honteux, fatigués, démissionnent de leur rôle ne répondent pas aux sollicitations de la justice, ce qui complique la situation. Il y a un travail important à réaliser auprès des parents. Et, plus largement, de la société pour changer les mentalités.

Quelles actions menez-vous dans le cadre de la 3e phase du projet du BICE Enfance sans Barreaux (EsB3) soutenu par l’Agence française de développement (AFD) ?

Dans le cadre d’EsB3 qui a démarré le 1er juillet 2023 et qui prend fin le 30 juin 2026, le BICE et le BNCE-Togo ont organisé des formations pour renforcer les compétences des travailleurs sociaux de l’État en matière de soutien psychologique (ateliers de résilience et de psycho-éducation) et d’appui à la parentalité positive, essentielle pour favoriser une inclusion durable de l’enfant ayant été en conflit avec la loi. 39 agents ont déjà été formés et mènent eux-mêmes les ateliers avec les enfants et les parents.

-D’autres formations ont également permis de renforcer les connaissances sur le plaidoyer de neuf organisations de la société civile intervenant au centre d’accès au droit et à la justice des enfants (CADJE) de Lomé. Nous menons d’ailleurs actuellement ensemble un plaidoyer sur l’adoption et la budgétisation d’un plan de réinsertion des enfants ayant été en conflit avec la loi.

-Parallèlement à ces formations, nous soutenons des jeunes de 16-17 ans pour qu’ils lancent leur activités génératrices de revenus (AGR). 14 gèrent actuellement de petits élevages de volailles, de chèvres, de porcins notamment. Ils avaient au préalable reçu une formation courte sur leur domaine d’activité et la gestion économique d’une activité commerciale. 10 autres sont en phase d’ouvrir la leur dans divers secteurs : coiffure, menuiserie, couture, etc. D’ici la fin du projet, nous avons prévu que 50 jeunes au total bénéficient de cet accompagnement. Cette initiative leur permet de subvenir à leur besoin, de s’intégrer socialement et participe à limiter la récidive.

Quels sont les retours sur ces AGR agricoles déjà lancées ?

Un point très intéressant c’est que le fait de prendre soin des animaux, de les voir grandir, se développer, les incite à voir leur vie, leurs actes autrement. Ils se rendent compte de l’importance de prendre soin d’eux-mêmes et des personnes qui les entourent. Au-delà de ce constat, les AGR fonctionnent bien. Les œufs améliorent d’ores et déjà la qualité de l’alimentation des familles et, comme les animaux se sont reproduits, les jeunes peuvent commencer à en revendre. Ces adolescents ont des compétences, sont volontaires… Il nous a suffi de les accompagner sur le plan psychosocial, de leur apporter quelques connaissances, de leur faire confiance pour qu’ils y arrivent.

Actuellement leur suivi est réalisé par le BNCE-Togo et les agents de l’État. Nous sommes dans une phase de transfert des compétences. L’objectif est que nous nous effacions progressivement afin que l’État prenne la relève.

Quelles seront les perspectives, les points de vigilance pour la suite ?

Il est important que les formations à l’attention des acteurs de justice continuent d’être organisées régulièrement afin que le plus grand nombre maîtrisent les outils spécifiques à la justice juvénile. Il faut aussi veiller à une dotation acceptable en moyens humain, technique et financier. Autre piste pour l’avenir : il faudrait s’assurer que la justice juvénile soit bien administrée et que les bonnes pratiques soient étendues au reste du pays.

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