Comment se déploie le programme Enfance sans barreaux (EsB) en Colombie ?
La congrégation des Religieux Tertiaires Capucins (RTC) que je représente est partenaire du BICE dans la mise en œuvre de ce programme depuis 2009. Le programme nous permet de réaliser de nombreuses actions de promotion et de développement de la justice réparatrice en direction de différents publics. En premier lieu, évidemment, les adolescents et leur famille. Avec le BICE, nous sensibilisons aussi les acteurs du système de responsabilité pénale. Cela passe par des forums, des séminaires, des formations. Et nous intervenons auprès de la police nationale afin que les agents considèrent les adolescents comme des sujets de droit même s’ils sont en conflit avec la loi. Notre volonté est de faire évoluer les mentalités afin que la justice réparatrice devienne le modèle systématiquement appliqué aux enfants.
Comment s’organise, dans vos centres, l’accueil des adolescents en conflit avec la loi ?
Le programme EsB s’adresse spécifiquement à six « clubs » de la province de Bogota gérés par les RTC. Nous y accueillons près de 1 000 adolescents âgés entre 14 et 18 ans dont environ 10% de filles. Ils nous sont envoyés par un juge pour accomplir leur sanction pénale. Cinq clubs sont mixtes, le sixième est réservé aux garçons. Ils offrent une alternative à la prison, donc à la privation de liberté. C’est essentiel. Chaque soir, les adolescents rentrent chez eux ou dorment en internat si leurs familles sont éloignées ou absentes. Dans la journée, nous les accompagnons dans le processus de justice réparatrice par le biais de diverses activités. Une majorité d’entre eux restent entre 12 et 15 mois, mais certains jusqu’à 3 ans. Cela dépend de la durée de la peine infligée.
Quelles activités mettez-vous en place dans le processus de justice réparatrice ?
Les adolescents participent à ce qu’on appelle le cercle réparateur dans lequel ils prennent la parole, racontent et partagent leur histoire. Cela les aide à prendre conscience qu’ils sont responsables de leur vie, de leurs actes y compris envers leur victime. Ce qui est primordial. Nous leur proposons en parallèle des ateliers artisanaux et artistiques autour du travail du bois, de métaux ou de la création de bijoux. Le but est de créer une discipline, de leur donner le goût du travail, l’esprit entrepreneur, et qu’ils soient fiers de ce qu’ils produisent. Des objets qu’ils peuvent d’ailleurs vendre à travers le réseau des RTC. Resserrer les liens avec les familles et, plus largement, la communauté est un autre élément très important. Nous organisons pour cela des ateliers enfants-parents ainsi que des journées d’appui citoyen dont des rencontres intergénérationnelles ou avec d’autres jeunes. Cela permet à la société de changer de regard envers les adolescents en conflit avec la loi.
Le sport joue également un rôle important…
Oui. Le sport et notamment le football sont très présents en Colombie. Pour nous, c’est un moyen intéressant, et très apprécié des adolescents, de véhiculer des valeurs positives de respect, de travail collectif, d’engagement, de partage… Nous organisons d’ailleurs une fois par an la Copa restaurativa avec les six clubs impliqués dans le programme EsB. Et puis, le sport est un outil à ne pas négliger dans le parcours de résilience. Je vais d’ailleurs intervenir à ce sujet dans le colloque Justice-Résilience-Sport en jeu que le BICE organise avec l’Université catholique et la Fondation Laureus à Milan ce mois-ci, avant de me rendre au Togo pour présenter un autre instrument pédagogique : la mallette restaurative dans le cadre du séminaire régional EsB.
Quelques détails sur cette mallette et le partage d’expérience ?
Cette mallette contient six jeux très simples et accessibles à tous : jeux de mime, de ballon, de société, d’adresse et d’équilibre, de construction. Ils incitent à la prise de parole, à l’écoute, à avoir confiance en soi et en l’autre, à la détente. Ils permettent aussi, toujours de manière ludique, de mieux comprendre le processus de justice réparatrice et son langage. En Colombie, ils sont très appréciés des adolescents. Nous obtenons de belles avancées grâce à eux. Je suis donc très fière d’aller les présenter aux partenaires africains du programme EsB. Et de partager avec eux notre expérience et notre approche. Trois des six jeux ont déjà été traduits en français et adaptés sur le plan culturel afin que les éducateurs et les enfants puissent se les approprier facilement. Ce sera sûrement une belle rencontre !
Retrouvez ci-dessous le reportage réalisé par KTO en 2017 :