Après 13 ans de guerre, la pandémie de Covid-19 et le tremblement de terre dévastateur de 2023, la Syrie demeure l’une des crises humanitaires les plus graves au monde. La chute du régime de Bachar al-Assad début décembre, après 53 ans de règne de cette dynastie, et la prise de pouvoir par une coalition de rebelles menée par les islamistes du Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ont profondément bouleversé le paysage sociopolitique syrien. L’avenir du pays reste incertain. Et inquiète.
Incertitudes politiques et inquiétudes
« Des élections étaient initialement prévues le 1er mars pour former un gouvernement de transition. Ce dernier devait guider la Syrie vers un processus démocratique et l’adoption d’une nouvelle constitution, explique l’un de nos partenaires locaux. Cependant, il a été récemment annoncé qu’Ahmed al-Charaa* resterait au pouvoir plus longtemps et que la tenue d’une élection pourrait prendre quatre à cinq ans**. D’ici là, une assemblée constituante devrait être mise en place afin de rédiger une nouvelle constitution. »
L’éventualité d’un texte consacrant la primauté de l’islam suscite de vives appréhensions dans le pays où près de 30 % de la population appartient à des minorités religieuses et ethniques. « Les chrétiens observent ce qui se passe avec inquiétude, confie notre partenaire. Des signes d’une islamisation croissante du pays commencent à apparaître. Une prière publique a, par exemple, été organisée à la faculté d’ingénierie de l’université de Damas. À certains points de contrôle, il est expressément demandé aux conducteurs d’enlever les symboles religieux chrétiens et aux femmes de porter le voile. Des pressions sont également exercées pour introduire la séparation des sexes dans les espaces publics. »
Des conditions de vie dramatiques
Parallèlement, les conditions de vie restent extrêmement précaires. Dans une grande partie du pays, l’accès aux services essentiels (eau, électricité, santé, alimentation…) demeure limité. Avec l’hiver, le manque de chauffage et d’éclairage accroît les souffrances d’une population déjà profondément marquée. Sur le plan économique, malgré une légère amélioration du taux de change USD/SYP depuis fin 2024, l’inflation reste élevée, alimentant la précarité économique.
Dans ce contexte, les besoins humanitaires en Syrie restent dramatiquement élevés. Plus de 90 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Et il est estimé à 12,9 millions (soit 55 % de la population) le nombre de personnes ayant besoin d’une aide alimentaire. À ce chiffre s’ajoutent 1,2 million de réfugiés qui ont fui en Syrie suite aux frappes israéliennes au Liban en septembre 2024.
Une urgence psychologique majeure
Les conséquences psychologiques de ce chaos, « depuis tant d’années », sont alarmantes. Selon l’Humanitarian Needs Overview*** (HNO) pour 2024, les niveaux de stress et d’anxiété atteignent des proportions inquiétantes : 60 % des femmes, 61,5 % des hommes, 34 % des filles et 31 % des garçons rapportent des souffrances psychologiques importantes.
Par ailleurs, les pressions sociales et économiques favorisent la recrudescence de pratiques néfastes comme les mariages forcés, le travail des enfants, la déscolarisation. Les violences domestiques et les restrictions imposées aux femmes et aux filles se multiplient. Selon une étude du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies datant de 2024, 89 % des plus de 2 millions d’enfants vivant dans le nord-ouest de la Syrie (y compris le gouvernorat d’Alep) aurait ainsi besoin d’une aide à la protection de l’enfance.
Dans ce contexte, il est plus urgent que jamais de favoriser l’accès aux services de santé et de soutien psychosocial, et d’œuvrer pour la rescolarisation des enfants éloignés de l’école. Et ce, afin d’éviter une détérioration encore plus grave du tissu social.
Un accompagnement psychosocial et éducatif primordial
Le Bureau international catholique de l’enfance (BICE) a ainsi décidé de soutenir le travail de Pro Terra Sancta. Présente à Alep depuis de nombreuses années, l’association agit en collaboration avec les frères franciscains. Depuis 2018, ses actions se concrétisent à travers trois centres situés dans des quartiers précaires de l’est et de l’ouest d’Alep. Ces espaces de rencontre et de soutien favorisent la résilience, le dialogue et la cohésion sociale. Ils accompagnent actuellement près de 6 000 enfants et 400 femmes. Parmi les activités proposées :
- des services éducatifs pour les élèves du secondaire (cours de mathématiques, physique, arabe, anglais, persan…) ;
- un soutien psychologique pour les enfants, à travers des ateliers collectifs sur des thèmes comme la guerre, la paix et la protection contre les abus ;
- un accompagnement psychologique pour les adultes, avec des séances en groupe sur la gestion du stress et le renforcement des compétences parentales ;
- des séances de psychothérapie individuelle pour aider enfants et adultes à surmonter leurs traumatismes ;
- des formations professionnelles pour les femmes, afin de leur offrir des perspectives économiques (travail de la laine, confection de vêtements…).
« Consolidation d’une société plus apaisée »
« Notre objectif est de promouvoir la santé mentale et d’aider la population à mieux affronter un contexte de vie particulièrement difficile, en leur offrant un sentiment d’appartenance à une communauté bienveillante et solidaire. Ces centres symbolisent aussi un espoir de reconstruction sociale et de dialogue interreligieux. Ils participent à la consolidation d’une société plus apaisée », explique notre partenaire.
Concrètement, le BICE s’est engagé à soutenir pendant six mois (février – juillet 2025) le fonctionnement d’un des trois centres, Karm al-Dou-dou, qui accompagne environ 3 000 personnes par an. Le salaire de 10 professionnels (psychologue, éducateur, orthophoniste, pédiatre…) est pris en charge par le projet ainsi que l’achat de matériel permettant d’offrir un service de qualité.
* Ahmed al-Charaa, également connu par son nom de guerre, Abou Mohammed al-Joulani, est le fondateur et l’ancien chef du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham.
** Lors d’une réunion à huis clos, mercredi 29 janvier, Ahmed al-Charaa a été nommé président par intérim pour une période de transition indéterminée. La Constitution a ensuite été suspendue.
***Aperçu des besoins humanitaires