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Alexandre Konan de DDE-CI en discussion avec Jean (dont le prénom a été modifié) © T.P. / BICE
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Côte d’Ivoire. Témoignage d’un mineur sur la prison

À 16 ans, Jean* connaît « l’inhumain », le bâtiment C, réservé aux grands bandits et aux criminels, de la Maca, la prison centrale d'Abidjan en Côte d'Ivoire. Puis le bâtiment A et le centre d'observation des mineurs. Trois ans de détention. Il nous raconte son histoire.

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Juin 2019, Abidjan. Jean, 16 ans, est bon élève. Il aime étudier et doit rentrer en Terminale après les vacances. Le soir du 1er juin, il se rend chez un ami pour un anniversaire. Il s’amuse, « boit trop » et décide de rentrer en taxi. « Juste avant d’arriver, le chauffeur me demande plus d’argent que prévu. Nous commençons à nous disputer, de plus en plus fort. Il s’arrête sur le bas-côté, nous nous battons dans la voiture, je le blesse et il tombe dans les pommes. Je suis tétanisé, choqué de ce que j’ai fait, de la violence de mes gestes... » Des passants, témoins de la bagarre, accusent le garçon d’avoir voulu voler la voiture. Jean, interpellé par la police, est emmené au commissariat et placé en garde à vue. Accusé de vol aggravé avec violence, il est déféré le lundi 3 juin à la Maca, la prison centrale d’Abidjan. Bâtiment C, celui des grands bandits, des criminels, où les conditions de vie sont « inhumaines », témoigne Jean.

« À près de 300 dans une cellule de moins de 20 m², on fait tout debout »

« Nous étions près de 300 dans une cellule de moins de 20 m2. Collés les uns aux autres. Debout. Dans ce bâtiment, on fait tout debout parce qu’il n’y a pas de place pour s’asseoir. On dort debout ou parfois accroupi en alternance avec d’autres, on mange debout, on fait nos besoins dans un sachet debout, pipi dans un bidon. On ne voit pas la lumière du jour parce qu’il n’y a qu’une toute petite fenêtre. Ils donnent de la nourriture chaque matin à 8h, de l’eau bouillie avec quelques légumes et du riz pas cuit. Immangeable. Et les détenus ne sortent qu’une fois toutes les trois semaines, à 16h, pour la douche. La chaleur, les odeurs, l’agressivité, l’entassement, le noir, la peur… Tout y est inhumain. »

Jean reste une semaine dans cet enfer avant d’être transféré dans le bâtiment A, celui des prévenus, en attente d’un jugement. Des cellules elles-aussi réservées normalement aux adultes, comme l’ensemble de la Maca. « Nous étions 94 au lieu de 17… Mais là on pouvait s’allonger pour dormir. Il y avait des toilettes et l’accès à l’eau. Et j’avais enfin le droit de recevoir des visites au parloir. Mon père venait deux fois par semaine m’apporter à manger. Ça m’a beaucoup aidé. Le chef de cellule m’aimait bien parce que j’étais le petit, alors je n’étais pas embêté. J’avais une place pas loin de lui pour dormir et on ne me volait pas ma nourriture. Tous les samedis, chaque détenu devait lui payer 1 000 FCFA. Ceux qui ne pouvaient pas devaient dormir dans les sanitaires. Ils se faisaient bousculer la nuit par ceux qui allaient aux toilettes. Ils ne dormaient pas beaucoup… Personne ne dormait beaucoup. Deux-trois heures de suite maximum. »

Jugé sans pouvoir se défendre

Le jeune homme reste dix-huit mois dans le bâtiment A. Période pendant laquelle il est jugé, sans en être informé, et condamné à trois ans de prison. « Je n’ai même pas pu me défendre », soupire-t-il. Envoyé ensuite au Centre d’observation pour mineur (COM), accolé à la Maca, il y finit sa peine. Dix-huit mois où là-encore, même si les conditions de détention sont meilleures (repas, dortoirs, activités…), il vit des moments très difficiles. « Les enfants peuvent être extrêmement durs entre eux. Et violents, nous confie-t-il. Heureusement, j’ai rencontré Monsieur Konan de DDE-CI**. Il m’a soutenu et a aidé mon père. Ça nous a donné du courage. » Au COM, Jean peut aussi accéder à des fascicules de Terminale et tente de passer le bac. « Je ne l’ai pas eu, je crois que je n’avais pas du tout la tête à ça. Mais étudier m’a quand même permis de m’occuper un peu. »

Malgré les démarches de DDE-CI, partenaire du BICE, impossible de faire sortir Jean avant juin 2022. « Dans cette affaire, tout va à l’encontre de ce que préconise la justice juvénile, la Convention relative aux droits de l’enfant et la loi en Côte d’Ivoire. Jean a été jugé sans pouvoir se défendre et alors que son père avait trouvé un accord avec la victime et avait remboursé les préjudices causés. Il a de surcroît été placé dans une prison avec des adultes… C’est clairement tout ce contre quoi nous nous battons », explique Alexandre Konan, de DDE-CI.

Le travail de plaidoyer de DDE-CI en matière de justice juvénile

Et Éric Mémel, coordinateur du projet du BICE Enfance sans violences au sein de DDE-CI, d’ajouter : « En mai 2022, pas moins de 900 mineurs étaient détenus dans les prisons de Côte d’Ivoire. Alors que la loi de 2019 préconise les mesures alternatives à la privation de liberté comme la transaction, la liberté surveillée et les travaux d’intérêt général. Cette loi représente une avancée importante et nous avons observé ces dernières années des améliorations dans le traitement des enfants en conflit avec la loi. Mais il faut qu’elle soit systématiquement appliquée. DDE-CI reste donc très mobilisée en matière de plaidoyer sur ce sujet. Il nous semble notamment indispensable que les acteurs de la justice bénéficient de formations en matière de droits de l’enfant et de justice juvénile réparatrice. De plus, les COM tels qu’ils sont décrits par la loi ne sont pas censés être des prisons mais des lieux ouverts où sont mises en place des mesures éducatives. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Et le fait que les trois COM existants soient dans l’enceinte d’un établissement pénitentiaire (Abidjan, Bouaké, Man) rend cela impossible. C’est un vrai problème. »

Jean accompagné par DDE-CI pour sa reprise d’étude

En liberté depuis près de sept mois, Jean aujourd’hui âgé de 19 ans est retourné à l’école. Après avoir passé avec succès un test d’entrée, financé par le projet Enfance sans violences, il suit une filière électro-technique dans une école publique. Trois ans d’étude pour obtenir un brevet de technicien. « Nous sommes 50 en classe. J’ai toujours aimé bricoler alors ça me plaît. » Jean se rend aussi régulièrement aux ateliers résilience organisés par notre partenaire. Et quand on lui demande ce qu’il ressent en pensant à ses trois dernières années, il répond : « J’essaie de prendre le positif. J’ai longtemps été en colère, je ne comprenais pas un telle injustice. Aujourd’hui, j’accepte. Je ne me sens pas en sécurité mais j’accepte. Ça m’a servi de leçon et ce qui est passé est passé. »

*le prénom a été modifié.
**Dignité et droits pour les enfants – Côte d’Ivoire

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