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formation Résilience Arménie
© Arevamanuk, Francesca Giordano
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Interview. « Un enfant ne peut pas se mettre en pause »

Dans le cadre de notre projet Résilience mis en place en Arménie pour soutenir les enfants et leur famille éprouvés par le conflit au Haut-Karabakh*, une vingtaine d’éducateurs ont été formés fin février pour devenir tuteurs de résilience et améliorer ainsi l’accompagnement des enfants traumatisés par la guerre et déplacés. Interview de la formatrice, Francesca Giordano, psychologue au sein de l’unité de recherche sur la résilience à l’université catholique du Sacré Cœur de Milan, partenaire du BICE.

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De quoi souffrent les enfants et adolescents accompagnés par les éducateurs que vous avez formés ?

Nombreux sont ceux qui doivent faire le deuil de la figure paternelle ou d’un autre membre de leur famille, mort au combat. Ayant fui la guerre et ne pouvant rentrer chez eux, ils doivent aussi faire le deuil de tous ces lieux avec lesquels ils se sont construits : leur maison, leur école, leur quartier… C’est très dur. La plupart des enfants accompagnés souffrent d’anxiété, de troubles de l’humeur. Certains sont agressifs, d’autres s’isolent du groupe. Ils ont souvent des difficultés à s’endormir et à être séparés de leur maman, de leur famille. Ils ont peur. Beaucoup ont des symptômes de réminiscence. Ils revoient sans cesse les images de guerre, entendent les bruits de bombardements, de tirs… Et puis, quand le traumatisme vient de la violence d’êtres humains envers d’autres êtres humains, la confiance en l’autre est rompue. C’est un long travail de la restaurer.

Comment aider ces enfants à aller mieux ?

Par un accompagnement psychologique de qualité. Avec le BICE, nous développons depuis 2014 des formations Tuteurs de résilience adaptées au contexte, à la culture dans lesquels nous intervenons. Elles ont pour objectif de former à l’approche résilience des professionnels qui travaillent auprès d’enfants et d’adolescents qui ont besoin d’un soutien. En Arménie, nous avons donc au début de cette année formé une vingtaine de tuteurs de résilience – assistantes sociales, éducateurs, psychologues… – issus de différents organismes.

À travers plusieurs activités, ils ont appris à créer des espaces de parole, de partage où les enfants peuvent exprimer leurs émotions, leurs peurs… Ils ont aussi appris à aider les enfants à prendre conscience de leurs forces et de leurs faiblesses, de leurs ressources internes et externes** pour surmonter leurs traumatismes. Les enfants ne sont alors plus réduits à leur état de victimes et deviennent les principaux acteurs de leur reconstruction personnelle. Cela les aide à se réinvestir dans leur nouvel environnement, à se réinsérer socialement, à se projeter. Ce qui est essentiel.

Combien d’enfants sont ainsi accompagnés dans le cadre de ce projet ?

300 enfants et adolescents seront accompagnés au cours des deux prochaines années. Nos partenaires sur place travaillent aussi avec les parents pour ouvrir le dialogue au sein des familles. Un point important car souvent les parents obligés de fuir la guerre mettent leur vie entre parenthèses, en attente. Eux-mêmes en souffrance, ils s’enferment dans leur douleur. Et sont peu disponibles pour l’enfant qui, alors, n’a pas de place pour exprimer ce qu’il ressent. Cela peut avoir des conséquences dévastatrices sur son développement. En effet, un enfant ne peut pas se mettre en pause, il doit continuer à apprendre, à grandir.

Vous disiez précédemment que vous adaptiez vos formations au contexte, à la culture… Qu’en est-il dans le cas de l’Arménie ?

Tout d’abord, notre formation en Arménie répond aux traumatismes liés à un contexte de guerre et de déplacement  forcé. Ensuite, nous nous sommes appuyés sur le fait que la résilience est fortement ancrée dans l’identité culturelle du pays. Certainement parce que les Arméniens ont vécu beaucoup d’épreuves douloureuses (guerre, génocide, tremblement de terre…). Ainsi, l’idée que l’on finit toujours par avancer après une difficulté est présent même dans leur art. Je pense à une danse notamment. Et eux-mêmes l’expliquent comme ça. Nous nous sommes donc servis de cette particularité culturelle pour bien faire comprendre le concept de résilience.

* À l’automne 2020, les six semaines de conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie au Haut-Karabakh ont fait plus de 5 700 morts, principalement des combattants des deux camps mais aussi près de 200 civils. Environ 90 000 habitants ont été contraints de fuir vers l’Arménie.

** Ressources internes : confiance en soi, savoir-faire, intelligence émotionnelle, altruisme, etc. Ressources externes : soutien familial, entraide communautaire, espace de loisirs sûrs, etc. Plus d’informations sur les facteurs de résilience, ici.

Plus d’informations sur le projet, ici.

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