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enfant en conflit avec la loi - justice juvénile
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Justice juvénile. Bilan positif du programme Enfance sans barreaux

Depuis 10 ans, le BICE mène un programme en Afrique et en Amérique latine pour humaniser la justice des mineurs. Sa deuxième phase s’est terminée en 2021. Elle a permis de grandes avancées.

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La place des enfants n’est pas derrière les barreaux. Même s’ils ont commis des infractions dont ils doivent mesurer la portée, l’enfermement doit rester une solution de dernier recours. C’est ce que dit la Convention relative aux droits de l’enfant. Et ce que met en œuvre le BICE à travers son programme Enfance sans barreaux. Débutée en 2016 dans sept pays d’Afrique et d’Amérique latine*, la deuxième phase de ce programme a permis d’accompagner près de 10 000 enfants en conflit avec loi jusqu’en septembre 2021.

Dans le même temps, 17 000 acteurs de la justice et du milieu éducatif ont été formés ; et près de 14 000 parents sensibilisés. Sans oublier que le plaidoyer a permis des avancées significatives. Un bilan satisfaisant d’autant plus que le contexte initial était préoccupant. En Afrique, par exemple, les enfants étaient souvent enfermés avec les adultes ; sans aucune prise en compte des vulnérabilités de leur âge et parfois dans des conditions indignes. Avec, pour conséquence, la rupture des liens familiaux et des difficultés de réinsertion.

Typologie des enfants en conflit avec la loi bénéficiaires du programme

Que ce soit en Afrique ou en Amérique latine, les enfants en conflit avec la loi bénéficiaires du programme avaient des profils sociologiques assez semblables. Ils étaient issus de familles en situation de grande vulnérabilité. Des familles souvent dysfonctionnelles (violence domestique, consommation d’alcool et autres drogues…) et déracinées (migrantes ou déplacées à l’intérieur du pays que des raisons économiques, d’insécurité…). Des familles qui se trouvaient, en outre, confrontées à des politiques publiques souvent incapables de répondre à leurs besoins.

« Il s’agissait donc d’enfants qui, sans rien enlever à l’infraction qu’ils avaient commise, avaient grandi avec un accès à leurs droits fondamentaux fortement défaillant ; et au sein d’un environnement familial et communautaire qui représentait souvent un facteur de risque et de stigmatisation plutôt que de protection, explique Alessandra Aula, secrétaire générale du BICE. Dans ce contexte, il était essentiel d’orienter les activités d’EsB2 vers une approche multidisciplinaire. Et ce, pour mieux répondre aux besoins des enfants bénéficiaires et, in fine, aux objectifs du programme. »

Une approche multidisciplinaire pour des réponses plus efficaces

Cette approche multidimensionnelle a permis de créer des collaborations structurées entre des acteurs appartenant au secteur public (autorités locales, forces de police, juges, universités, institutions éducatives) et/ou au secteur privé (ONG, associations, média, universités). Et d’améliorer ainsi le suivi des enfants, sur la plan juridique, psychologique, social, éducatif… Une attention particulière a également été portée sur le contexte dans lequel le programme était mené ; permettant de mettre en évidence non seulement les besoins et les problèmes à affronter, mais aussi les ressources déjà actives ou pouvant être activées. Et d’agir ainsi en conséquence.

En Afrique, l’introduction de l’approche résilience a favorisé l’augmentation du nombre des membres des familles bénéficiaires du programme. « En dépit de conditions de vie précaires et de certains préjugés qui perdurent à l’égard de leurs propres enfants infracteurs, notamment s’il s’agit d’une fille, de nombreux parents sont devenus acteurs dans le processus de reconstruction entamé par leur enfant, réussissant par exemple à instaurer un dialogue apaisé avec eux. Ce qui est fondamental », précise Alessandra Aula.

La pertinence du choix d’une approche multidisciplinaire s’est également reflétée dans la mise en place de bonnes pratiques. Quelques exemples : en Afrique, les affiches réparatrices ; les groupes de parole. En Amérique latine, les jeux réparateurs (RTC en Colombie) ; la compétition sportive des enfants privés de liberté à un niveau professionnel (OPA au Pérou) ; le montage de pièces de théâtre, notamment de marionnettes (OPA) ; la formation en boulangerie (RTC) ; ou encore une méthode formative en direction des professionnels centrée sur l’évaluation du risque de violence et une prise en charge différenciée de l’adolescent (COMETA au Pérou).

Ces pratiques originales ont aidé à améliorer l’accompagnement et les conditions de réinsertion des enfants en conflit avec la loi. Et, par leur efficacité, ont montré l’absolue nécessité de développer une justice réparatrice quel que soit le contexte.

D’importants succès de plaidoyer

Outre le fait de proposer un accompagnement efficace à ces enfants, qui permet par ailleurs de lutter contre la récidive, le programme visait aussi à former les acteurs de la justice, à sensibiliser le grand public et à plaider auprès des autorités en faveur d’une justice réparatrice. « Les succès obtenus sur ce dernier plan sont considérables », se réjouit Yao Agbetse, coordinateur du plaidoyer auprès de l’ONU pour le BICE.

Ainsi, la Côte d’Ivoire a adopté un décret reprenant les recommandations du BICE. Par exemple : privilégier les travaux d’intérêt général à la prison pour les enfants ayant commis des infractions de moindre gravité ou encore permettre aux juges d’opter pour une « transaction pénale**» afin d’éviter à l’enfant l’expérience traumatisante d’une audience au tribunal.

Au Togo, notre partenaire, le BNCE-Togo, a réussi à faire émerger la question des enfants en conflit avec la loi dans le projet global de l’État sur la protection de l’enfant. Depuis 2021, le pays dispose d’une vraie stratégie nationale de justice des mineurs ; dont les directives s’inspirent souvent des bonnes pratiques de nos partenaires. Au Mali, les juges, formés par le BNCE-Mali, optent désormais d’emblée pour des mesures alternatives à la prison ou pour des peines s’effectuant en milieu ouvert ou semi-ouvert pour les délits plus graves.

Au Pérou, COMETA a plaidé avec succès pour l’ouverture des Servicios de Orientación para Adolescentes (SOA)*** dans les principales villes du pays et bâti des alliances avec l’Académie de la Magistrature (AMAG) et des universités. De même, au Guatemala, l’ICCPG a su tirer profit de certaines résistances politiques au niveau de la capitale pour développer ses interventions dans d’autres départements. En Colombie, enfin, le fait que les Tertiaires Capucins gèrent des centres sous mandat de l’État facilitera la transposition des bonnes pratiques.

Des avancées à consolider

La mise en œuvre de ces avancées reste un défi. « La plupart des pays du programme ont connu une très grande instabilité politique durant cette deuxième phase, déplore Yao Agbetse. Bien souvent les ressources ou la volonté politique manquent pour que les réformes soient appliquées. De plus, la crise sanitaire a considérablement appauvri les populations. Les conditions pour une réinsertion socio-éducative ou professionnelle sont rarement réunies ; ce qui représente un obstacle à la prévention de la récidive. »

En particulier, en Afrique, la justice réparatrice doit encore se consolider dans le système judiciaire ; de même que son lien avec l’approche résilience. C’est pourquoi le BICE et ses partenaires de la région envisagent une prolongation d’Enfance sans barreaux pour mener à terme le travail déjà engagé.

*En Afrique : Côte d’Ivoire, Mali, République démocratique du Congo, Togo. En Amérique latine : Colombie, Guatemala, Pérou
**Paiement d’une amende proposée par le procureur de la République pour l’infraction constatée
***Services d’Orientation pour les Adolescents

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