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enregistrement des naissances en Afrique
© Ghovodi
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L’enregistrement des naissances. Un enjeu pour l’Afrique

Aujourd’hui encore, des millions d’enfants nés en Afrique ne sont pas enregistrés auprès de l’état civil. Sans existence légale, leurs possibilités d’accéder à l’éducation, la santé, la justice, ou tout simplement d’être protégés, sont réduites à néant. Face à cet enjeu de droits mais aussi de développement, les pays africains se mobilisent. Avec des initiatives et des résultats concluants.

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L’inégalité des chances commence dès les premières années de la vie des enfants qui n’ont pas d’acte de naissance et donc pas d’existence légale. Selon un dernier rapport de 2022 de l’Unicef*, ils sont 91 millions en Afrique, soit près de la moitié des moins de 5 ans. On est loin de l’objectif d’un enregistrement universel des naissances que se sont fixé tant les Nations unies, à l’horizon 2030**, que l’Union africaine, pour 2040. Des progrès significatifs et encourageants ont pourtant été réalisés, comme l’explique Cecilie Modvar, spécialiste de la protection de l’enfant au Bureau régional de l’Unicef pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. ≪ Pour la région que je couvre, les niveaux d’enregistrement des naissances sont passés de 45 % en 2015 à un taux actuel de 59 %. Et ce, malgré une croissance démographique importante au cours de la même période. Il reste néanmoins encore beaucoup à faire pour atteindre la couverture universelle.

Un enjeu de droit pour les enfants

Pour un enfant, exister aux yeux de l’État dans lequel il grandit est un droit fondamental dont découle la jouissance de tous les autres. ≪ Un certificat de naissance est la preuve de qui vous êtes, de votre âge, poursuit Cecilie Modvar. Il s’agit donc d’une étape critique pour accéder aux services sociaux comme la santé, l’éducation et la justice. ≫ Selon le rapport de l’Unicef, ≪ l’écart en matière d’enregistrement des naissances entre les plus riches et les plus pauvres s’est creusé en deux décennies, notamment en Afrique centrale. ≫ Et ce, au détriment des plus démunis qui se voient pris dans un véritable engrenage de pauvreté, d’exclusion et de mise en danger, comme le déplore Cecilie Modvar : ≪ L’un des facteurs communs et déterminants de l’exclusion sociale et économique est l’absence d’identité juridique. Un certificat de naissance, en tant que preuve légale de l’âge, peut protéger les enfants contre le travail et le mariage précoce, les poursuites et condamnations en tant qu’adultes et le recrutement dans les forces et groupes armés.

Un enjeu de développement

Quand un pays n’est pas en mesure de dénombrer les naissances sur son territoire, c’est son développement qui s’en trouve pénalisé. ≪ Lorsque l’enregistrement des naissances est complet et exact, il facilite la gouvernance démocratique, précise Cecilie Modvar. Et il engage les gouvernements à préconiser et à budgétiser des politiques de prestation des services de base qui répondent aux besoins de leur population. ≫ C’est pourquoi l’enregistrement de tous les enfants est l’un des objectifs que se sont fixés les Nations unies, dans le cadre des ODD***. L’analyse statistique publiée par l’Unicef permet d’évaluer les progrès réalisés. ≪ Plus de 20 pays africains pourraient être sur la bonne voie pour atteindre ces objectifs, constate Cecilie Modvar. D’autres auront besoin d’efforts supplémentaires et accélérés pour y parvenir. Nous continuerons de travailler avec les gouvernements et par le biais de partenariats régionaux pour s’assurer qu’aucun pays ni aucun enfant ne soit laissé pour compte dans l’effort mondial visant à garantir l’identité juridique de tous.

Une contribution indispensable des systèmes de santé

Atteindre cet objectif passe par la mise à contribution des systèmes de santé pour que l’acte de naissance soit délivré par exemple au moment de la vaccination, et aussi par sa gratuite, même après le délai légal d’enregistrement de la naissance. C’est le constat que fait Cecilie Modvar : ≪ En RD Congo, le gouvernement a testé un modèle qui implique directement les agents de santé et de vaccination dans le processus d’enregistrement des naissances. Des initiatives similaires sont mises en œuvre dans toute la région. Et comme cette approche prouve son efficacité, notre objectif actuel est de soutenir les gouvernements dans leurs efforts de planification et de budgétisation pour la mise en œuvre à l’échelle nationale. Les solutions pour une telle interopérabilité ont été adaptées à différents contextes, testées, et il est maintenant temps de les déployer.

* Une mise à jour statistique sur l’enregistrement des naissances en Afrique.

**ODD (Objectif de Développement Durable) 16.9.

***Objectifs de Développement Durable, ensemble de 17 objectifs de développement durable que les Nations unies se sont fixés à l’horizon 2030.

« Je mettais dans un carton tous les actes de naissance qui n’avaient pas été retirés et j’allais sur les marchés avec un mégaphone »

Suzanne Aho
© Suzanne Aho

Togolaise, ancienne maire de la ville de Lomé, ancienne ministre de la Santé et des Affaires sociales, actuelle membre du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, Suzanne Aho a fait de l’enregistrement des naissances l’un de ses grands combats.

« Je connais les statistiques de l’Unicef et les politiques mises en place par l’Union africaine. Mais tant que tout le monde, chacun à son niveau, ne se sentira pas responsable de l’enregistrement des naissances, nous n’avancerons pas. Les parents ne comprennent pas combien il est crucial pour leur enfant d’avoir une existence légale. Ils pensent aussi que ça va coûter cher de le faire enregistrer.

Nous avons installé des bureaux d’enregistrement des naissances dans les maternités. Mais la plupart des mamans n’y vont pas, notamment car elles pensent que c’est au mari de le faire. Quand elles y vont, on leur demande le patronyme de leur mari, que le plus souvent elles ne connaissent pas. J’en ai vu qui répondaient : ˝C’est papa ˝. On leur demande le prénom de l’enfant et, là encore, elles ne savent pas, ça n’a pas été décidé avec le père qui est généralement absent. Pendant ce temps-là, l’enfant n’existe pas, il est invisible. Et quand les gouvernements décident de la gratuité des actes de naissance, ils ne le font pas savoir. Ce silence entretient l’idée que c’est payant. Et c’est malheureusement souvent le cas malgré la loi, car l’agent d’état civil, quand il est seul avec le déclarant, peut lui réclamer de l’argent. Cette corruption est à tous les niveaux.

Un enfant doit présenter un acte de naissance pour s’inscrire au certificat d’études. S’il n’en a pas, l’enseignant va lui proposer de faire établir un jugement supplétif au tribunal. Cela a un coût et, là encore, l’enseignant va se faire payer pour la démarche. Plus grave : le jugement supplétif ne vaut pas acte de naissance. Il faut le faire transcrire dans les registres, et cela dans l’année, pour obtenir l’acte de naissance. Beaucoup ignorent ce délai, y compris certaines ONG. Elles obtiennent des jugements supplétifs mais ne les font pas transcrire. L’enfant n’aura pas d’acte de naissance. Pour les filles, c’est encore pire. Comme elles vont se marier et porter le nom de leur mari, on ne juge pas utile de leur établir
un acte de naissance.

Il y a des solutions. Profitons des campagnes de sensibilisation sur la vaccination pour parler également de l’importance d’enregistrer les enfants. Parlons-en aux mamans lors du suivi de grossesse, en leur disant bien de prendre une copie de la carte d’identité de leur mari lorsqu’elles viennent accoucher, et de décider avant du nom du bébé. L’Union africaine a décrété le 10 août Journée de l’enregistrement des naissances. Menons plutôt des actions concrètes et organisons de vastes campagnes de sensibilisation sur l’importance d’enregistrer les enfants et d’aller retirer ensuite son acte de naissance. C’est l’autre grand défi.

Quand j’étais maire de la ville de Lomé, je mettais dans un carton tous les actes de naissance qui n’avaient pas été retirés et j’allais sur les marchés avec un mégaphone. J’annonçais les noms en précisant que rien de cela n’était payant. C’est ainsi que l’on avance. »

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    et sur...