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Harcèlement scolaire en France
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Lutter contre le harcèlement scolaire

Résonne trop souvent dans l’actualité l’extrême violence que peut atteindre le harcèlement scolaire. Un enfant sur dix en serait victime dans les écoles françaises. Des enfants de 8 à 15 ans, malmenés par des camarades tout aussi jeunes. Comment lutter contre ce dramatique fléau ? Un point sur le programme pHARe après son déploiement dans toutes les académies.

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En France, il aura fallu attendre 2011 pour que le phénomène du harcèlement scolaire soit nommé et défini. Il s’agit de violences verbales, physiques ou psychologiques, exercées par un ou plusieurs élèves sur un autre élève, de façon répétée et dans l’intention de nuire. Des violences telles qu’elles peuvent détruire. On pense à Ambre, Lucas… qui se sont donné la mort. Mais combien d’autres perdent le sommeil, s’isolent, sont retirés de leur école ou décrochent scolairement ?

Selon les statistiques du ministère, il s’agirait d’un élève sur dix, âgé majoritairement entre 8 et 15 ans. Des enfants souvent pris pour cibles en raison de leur différence, comme l’explique très bien cette grand-mère, qui a souhaité garder l’anonymat. « Quand il a été avéré que mon petit-fils était un enfant à haut potentiel, ses parents ont décidé de le mettre dans une école privée réputée, qui avait l’habitude de ce type d’élèves. C’est pourtant là qu’il a été harcelé. Il avait toujours eu la sensation de ne pas être comme les autres et d’en être fautif ; le harcèlement a trouvé son terrain dans ce raisonnement. »

Briser la loi du silence

Poursuivi, poussé dans les coins, incité publiquement à se suicider, le garçon, comme souvent les victimes, a longtemps gardé le silence « par peur de faire de la peine à ses parents », précise sa grand-mère. Témoins de ces scènes, les autres élèves se sont aussi tus. Un classique selon Colette Chiche, principale de collège depuis 15 ans. « Ils ont tout vu mais ne disent rien, considérant qu’ils ne sont pas dans l’histoire. Je leur explique que s’ils ont vu, ils sont dans l’histoire. Quand ils répugnent à dénoncer, je leur fais comprendre que garder le silence peut faire plus de mal encore. »

Mais c’est avant tout aux adultes qui encadrent les enfants d’être à l’écoute et vigilants. « Je suis beaucoup sur le terrain, j’observe les élèves, raconte Colette Chiche. Les moments de changements de salle sont très importants. Je dis aux enseignants que ce qui se passe dans le couloir avant ou après leur cours les concerne. Les assistants d’éducation doivent être sensibilisés eux aussi, le CPE (conseiller principal d’éducation), les parents. Je les incite à écouter leurs enfants, à décrypter les messages, même anodins. »

La responsabilité de l’institution

Contrairement à d’autres pays comme la Norvège, qui a lancé des campagnes contre le harcèlement scolaire dès 1983, en France c’est en 2012 seulement qu’un numéro vert, le 3020, a été mis en place, en 2015 qu’une journée nationale « Non au harcèlement » a été instaurée , et en 2019 qu’a été expérimenté le programme pHARe, généralisé à tous les établissements scolaires depuis la rentrée 2022.

Superviseure académique, Caroline Veltcheff a travaillé à son élaboration pendant cinq ans avec Éric Debarbieux, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire. « C’est la première fois que l’on met en place à l’échelon national un véritable programme, affirme-elle, c’est-à-dire des actions articulées qui, ensemble, produisent leur effet. » Inspiré par ce qui se fait de longue date en Finlande, en Suède, au Danemark, il s’appuie, entre autres, sur la méthode dite « de préoccupation partagée » et sur la création, dans chaque établissement, d’un groupe d’élèves ambassadeurs de la lutte contre le harcèlement.

Restaurer l’empathie

« Avec la méthode de préoccupation partagée, explique Caroline Veltcheff, on évite de tomber à bras raccourcis sur les coupables potentiels pour obtenir que les témoins cessent d’être du côté des rieurs et que les auteurs se rendent compte de ce qu’ils font. N’oublions pas que ce sont avant tout des enfants. » Les référents de l’établissement les reçoivent en entretien individuel, et partagent avec eux leur préoccupation pour tel élève dont ils ont observé qu’il n’allait pas bien.

« Ce sont des entretiens très courts, l’idée n’étant pas d’avoir des explications, juste de rétablir l’empathie. Généralement, les auteurs commencent par dire qu’ils ne connaissent pas l’élève en question, on leur demande alors d’être plus attentifs. Les témoins, les rieurs, en revanche admettent vite qu’en effet, l’élève ne va pas bien, et changent de camps. La victime est reçue également en entretien, aussi longtemps et souvent qu’elle le souhaite. La méthode marche dans 85 % des cas. Elle dure 10 jours pendant lesquels on ne donne ni punitions ni sanctions. C’est pourquoi je dis aux référents de ne jamais hésiter à y recourir, elle ne peut pas faire de mal. »

Des ambassadeurs et des référents

Les groupes d’élèves ambassadeurs sont là pour repérer les camarades en souffrance. « Leur rôle est limité, précise Caroline Veltcheff. Ils ne se substituent pas aux adultes, et apprennent à avoir une posture éthique. Ils sont fiers de leur mission qu’ils assument avec sérieux et implication. Certains ont été harcelés, d’autres souhaitent simplement contribuer au bon climat scolaire. Je me souviens aussi d’une élève qui avait eu le cran de déclarer qu’elle avait été auteure. C’est un grand pas vers la citoyenneté, quand on a cinq ou dix ambassadeurs dans l’établissement, ça se ressent. »

Pour piloter ce programme, chaque académie nomme deux superviseurs. Et chaque établissement des personnes ressources. Certains appliqueront la méthode de préoccupation partagée, d’autres formeront les élèves ambassadeurs. Il y a aussi une équipe chargée de déployer l’autre volet du programme. Le développement des compétences psycho-sociales des élèves, à raison de 10 heures annuelles, du CP à la 3e.

Action contre le harcèlement scolaire dans un collège à Paris
Lutte contre le cyberharcèlement au collège Claude Chappe – Ida Grinspan (Paris) le 9 février dernier.
© Rectorat de Paris – Sylvain Lhermie

Quels résultats espérés ?

Depuis sa mise en place, la lutte contre le harcèlement a permis une prise de conscience sociétale. « La parole se libère, observe Murielle Cortot-Magal, directrice générale d’EPE-IDF, l’association qui opère le 3020 depuis 10 ans, en partenariat étroit avec l’Éducation nationale. Le nombre d’appels augmente de façon exponentielle depuis la création de la ligne, et nous constatons chaque année un pic en novembre, au moment de la journée nationale de lutte contre le harcèlement. »

Si l’on se réfère aux études annuelles menées dans les établissements par la Direction de l’évaluation et de la prospective depuis 2011, les cas de harcèlement scolaire seraient en baisse. Ce que confirme Caroline Veltcheff : « Les premières années, cela représentait 10 à 15 % des élèves. Actuellement, grâce aux campagnes “Non au harcèlement’”, nous en sommes à 7 % – 10 %. Avec le programme pHARe, nous espérons descendre à 2,5 % – 3 %, comme dans les pays qui appliquent déjà la méthode. »

Et quand la méthode ne fonctionne pas ?

« Selon la gravité des faits, explique Caroline Veltcheff. Nous allons jusqu’au conseil de discipline avec exclusion définitive, et même la mise en place de mesures conservatoires pour protéger la victime. Cela dit, les familles souhaitent que le harcèlement cesse au plus vite, ce qui est compréhensible, et prennent souvent elles-mêmes l’initiative de changer leur enfant d’établissement. »

Murielle Cortot-Magal constate un certain désarroi des parents. « Bien souvent, ils appellent car ils ne se sentent pas écoutés ou ne savent pas comment joindre les référents d’académie. » Le manque de moyens financiers investis est également questionné, notamment par Nora Tirane, fondatrice de l’association de lutte contre le harcèlement Marion la main tendue. C’est ce qu’elle confiait au journal Ouest France le jour des obsèques de Lucas, en janvier dernier : « Aucune dotation. Zéro euro du secrétariat d’État à la protection de l’enfance en 10 ans. Seulement 50 000 € du ministère de l’Éducation nationale. Qu’est-ce qu’on fait avec ça ? »

Employant un peu plus de quatre écoutants-rédacteurs pour plus de 90 000 sollicitations et près de 22 000 appels traités en 2022, le dispositif du 3020 semble sous-dimensionné. « Ce sont des appels assez longs et durs, de 30 à 40 minutes en moyenne. Les écoutants se relaient, mais il en faudrait davantage, nous sommes aujourd’hui saturés », précise Murielle Cortot-Magal. Le harcèlement à l’école est désormais pris en compte, et les moyens doivent être à la hauteur des enjeux.

Numéro d’appel d’urgence Stop harcèlement : 3020
Du lundi au samedi, de 9h à 18h

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