Les cas de naissances chez des jeunes filles de moins de 15 ans restent marginaux. Ils le sont du moins en termes d’impact sur l’évolution de la croissance démographique mondiale, ce qui explique que les chercheurs ne se soient pas penchés jusque-là sur le sujet. L’étude publiée en juin dernier par l’Ined a permis de faire exister ces toutes jeunes mamans dans les statistiques. Bruno Schoumaker, l’un des chercheurs de l’Université catholique de Louvain auteurs de cette étude, explique ce qui l’a motivé. « Je travaille sur la fécondité en général d’un point de vue démographique. La division “population” des Nations unies m’a approché dans le cadre de leurs réflexions sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement en me demandant de produire des estimations sur le sujet à partir de toutes les données recueillies entre 1970 et 2020. »
400 000 mamans de moins de 15 ans par an
« Nous avons travaillé à partir des données d’état civil, quand elles existent dans les annuaires démographiques des Nations unies, poursuit Bruno Schoumaker. Dans la plupart des pays en développement, on doit par contre travailler à partir de grosses enquêtes démographiques, dans lesquelles on interroge des femmes de 15 à 49 ans sur leurs histoires de maternité. Celles-ci mentionnent les enfants qu’elles ont eus, donc également ceux qu’elles ont pu avoir avant 15 ans. C’est ainsi, en recoupant ces données et celles d’autres sources, que nous avons estimé à 400 000 le nombre de naissances annuelles chez des mères de moins de 15 ans dans le monde. » Il s’agit bien d’une estimation, peut-être en-dessous de la réalité, mais qui rejoint le chiffre de 500 000 annoncé par les Nations unies dans un rapport sur la population mondiale. Ces naissances ont lieu pour les trois quarts au sein d’une union.
Mettre un visage et une histoire sur ces jeunes filles
Rendre compte de la réalité de ces toutes jeunes mamans et de leur vécu, c’est l’enjeu également des reportages réalisés auprès de 20 d’entre elles dans le cadre du projet #childmothers*. « Une grande partie des grossesses chez les jeunes adolescentes ne sont pas désirées, est-il précisé en introduction du projet. La maternité précoce est souvent associée au fait que les filles ne sont pas scolarisées. Les adolescentes ont souvent un accès limité ou inexistant aux informations, à l’éducation ou aux services en matière de santé sexuelle et reproductive. »
Quand l’infirmière m’a dit comment c’était d’accoucher, j’ai pensé que j’allais mourir.
Mulega, Zambie
C’est le cas de Mulega, originaire d’un petit village de Zambie, devenue maman à 14 ans, et qui témoigne : « Je n’avais aucune idée de comment on tombe enceinte. Je ne savais même pas que j’étais enceinte. Nous n’avons pas appris ces choses à l’école. C’est ma mère qui m’a dit que je n’allais pas bien. Quand j’ai réalisé que j’allais avoir un enfant, j’étais bouleversée et ennuyée. Ma mère aussi. » Plus tard elle ajoute : « Quand l’infirmière m’a dit comment c’était d’accoucher, j’ai pensé que j’allais mourir. »
Un sur-risque pour la mère et l’enfant
De fait, les grossesses extrêmement précoces sont des grossesses à risque, tant pour la mère que pour l’enfant. C’est ce que confirme le docteur Cyril Huissoud, du CHU de Lyon, secrétaire général du Collège national des gynécologues obstétriciens français.
« Chez ces jeunes adolescentes, l’organisme est encore en croissance et le métabolisme orienté vers les besoins de cette croissance. La grossesse va solliciter le corps de la maman pour le développement de l’enfant, notamment ses réserves en fer, ce qui peut entraîner des anémies. Un des problèmes principaux dans ces grossesses très précoces, c’est que la croissance osseuse n’est pas stabilisée. Le bassin n’est généralement pas suffisamment développé, de même que les articulations sur lesquelles la grossesse induit des modifications pour qu’elles soient plus mobiles. Tout cela entraîne des risques de maux de dos ou articulaires par la suite. Une grossesse augmente de 30 % le travail du coeur. Si celui-ci n’a pas terminé sa croissance, c’est un problème également. »
Les risques pour le bébé sont également accrus. C’est encore ce que constate le Dr Cyril Huissoud. « Plus la maman est jeune, plus il y a de risques de prématurité, spontanée ou induite. Il faut savoir également que le risque de trisomie 21 est plus élevé quand la mère a 15 ans que quand elle en a 20. »
Des risques psycho-sociaux
« Très rares sous nos latitudes, les grossesses très précoces ont généralement lieu dans des milieux socio-économiques très difficiles », observe le Dr Cyril Huissoud. C’est également ce que révèle l’étude de l’Ined. Les régions les plus pauvres sont les plus concernées : dans des pays comme le Niger, l’Angola, le Soudan du Sud ou la Mauritanie, le ratio atteint 100 naissances pour 10 000, contre 1 pour 10 000 dans les pays occidentaux. C’est un cercle vicieux, car les grossesses très précoces pénalisent l’avenir de la maman. En effet, si ce n’était déjà le cas, les jeunes filles enceintes sont obligées de se marier, et bien souvent de quitter l’école. Or on sait que plus les filles sont scolarisées longtemps, mieux elles savent prendre soin d’elles-mêmes et de leurs bébés.
Des statistiques aux mesures de prévention
L’existence même de ces premières statistiques est une bonne nouvelle. «On a montré qu’il y avait une information disponible et exploitable, constate Bruno Schoumaker. Désormais, on va pouvoir s’intéresser davantage aux circonstances de ces grossesses et à leurs conséquences sur la vie des jeunes filles. Ce qui va nous permettre d’alimenter l’action en termes de prévention et de motiver les acteurs à investir dans ce domaine. » Grâce à ces statistiques, il va également être possible d’estimer l’efficacité des mesures qui seront prises et de celles déjà en cours.
« Il y a trente ou quarante ans, le nombre de naissances chez des mamans de moins de 15 ans s’élevait sans doute à plus d’un million par an, précise Bruno Schoumaker. La baisse qu’on peut observer s’explique par plusieurs facteurs : l’augmentation de l’âge des jeunes filles au moment du mariage ou de l’entrée dans une union ; la progression de leur taux de scolarisation, un meilleur accès à la contraception et à une information sur la santé reproductive, sur la vie relationnelle et affective. » Autant de pistes à explorer, pour espérer qu’un jour, plus aucune fillette n’ait à passer sans transition de l’enfance à la maternité.
*Un projet réalisé par le photographe Pieter ten Hoopen et la journaliste Sofia Klemming Nordenskiöld à l’initiative de l’ONG Plan international et du Fonds des Nations unies pour la population : https://www.childmothers.org/
« Les Talibans encouragent les mariages dès 14 ans »
Ancienne responsable d’une ONG en Afghanistan, Rahima Noori dresse un bilan accablant pour son pays d’origine.
Les grossesses très précoces sont-elles fréquentes en Afghanistan ?
Rahima Noori : Extrêmement fréquentes. En Afghanistan, on pense que si une femme n’a pas un enfant l’année de son mariage, elle ne pourra pas en avoir plus tard. Étudiante, j’ai fait un stage au Parlement, dans la commission de la santé, de la jeunesse et des sports. J’ai pu voir les chiffres affolants concernant la mortalité à l’accouchement. Souvent en raison d’une grossesse trop précoce, mais aussi car il n’y a pas assez de médecins dans les provinces et que les filles accouchent chez elles.
Pourquoi les familles marient-elles leurs filles si jeunes ?
Les Talibans encouragent les mariages dès 14 ans, car il faut que la jeune fille ne soit jamais sortie de chez son père. Mais même quand la loi l’interdisait, les mariages avant 18 ans étaient très courants. Quand un père marie sa fille, la famille du mari lui donne une dote, supposée servir au jeune couple, mais que la famille garde le plus souvent. Aujourd’hui, les familles sont dans un tel dénuement qu’elles « vendent » leurs filles pour réduire le nombre de bouches à nourrir. Les femmes veuves le font aussi pour préserver leurs filles des risques de viols et de déshonneur.
Et que se passe-t-il en cas de grossesse précoce hors mariage ?
Il y a une fatwa de lancée contre la jeune fille. Je me souviens avoir été à l’enterrement d’une toute jeune fille dont on nous avait dit qu’elle avait eu un cancer. En fait, son père l’avait enfermée et laissée mourir de faim parce qu’elle était enceinte.