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Ghorban, mineurs non accompagnés
Ghorban, né un jour qui n'existe pas. Sorhab et Mehrab, les demi-frères de Ghorban conduisent Ghorban à leur village. Yakawlang, Afghanistan, juillet 2017.

Mineurs non accompagnés, encore fragilisés par la pandémie

Depuis plusieurs années, des jeunes venus d’Afrique, d’Europe de l’Est ou d’Asie se lancent sur les routes de l’exil dans l’espoir d’un avenir meilleur en Europe. Particulièrement vulnérables, ces « mineurs non accompagnés » relèvent en France de la protection de l’enfance. Mais tout se complique quand leur minorité est contestée.

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Chaque année, la France voit arriver sur son sol des enfants et des adolescents isolés, parfois très jeunes. Venus d’Afrique, d’Europe de l’Est ou d’Asie, la plupart ont fui une situation de guerre ou de pauvreté irrémédiable qui ne leur laissait aucun espoir d’avenir. En tant que mineurs, ils sont mis à l’abri dans le cadre de la protection de l’enfance. La France, à la différence de certains autres États européens, considère en effet que ces jeunes sont des enfants avant d’être des migrants.

En cela, elle va dans le sens du Comité des droits de l’enfant. En 2005, il émettait une observation générale selon laquelle la situation des mineurs non accompagnés (MNA) ne doit pas être vue uniquement sous l’angle de la migration, mais sous celui de la mise en œuvre effective des principes édictés par la Convention relative aux droits de l’enfant.

17 000 mineurs non accompagnés recensés en France

Combien sont-ils ? « Les chiffres pour la France n’existent que depuis 2013, date de la création d’une mission MNA rattachée au ministère de la Justice et à la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse et chargée de la répartition de ces jeunes au niveau national », explique Léa Jardin, de l’université catholique de Lille, auteure d’une thèse sur la protection du MNA en droit international et européen.

Cette mission estimait en 2019 à près de 17 000 le nombre d’enfants non accompagnés présents sur le territoire français. Soit deux fois plus qu’en 2015. « On ne connaît en revanche pas exactement le nombre de jeunes qui se présentent aux services des départements chargés de leur évaluation, précise Léa Jardin. L’Assemblée des départements de France évaluait leur nombre à 54 000 en 2017, mais il ne s’agit là que d’une estimation. »

La reconnaissance ou non de minorité

Faire valoir qu’ils sont mineurs fait partie des nombreux défis auxquels ces enfants sont confrontés à leur arrivée en Europe. C’est ce que déplore le Haut-Commissariat des Nations unies aux Réfugiés (UNHCR) dans un rapport paru en 2019. « Les procédures de détermination de l’âge manquent de fiabilité et de cohérence, y lit-on. Avec pour résultat le fait que certains enfants sont considérés comme des adultes et ne peuvent donc avoir accès aux systèmes nationaux de protection de l’enfance ni à d’autres services essentiels. »

Aujourd’hui, en France, l’évaluation se fait sur la base d’examens psychosociaux, médicaux (radiographie osseuse) et des documents d’identité fournis ; ainsi que, depuis la loi Asile et immigration de 2018, de prise d’empreintes digitales. « Les entretiens psychosociaux sont menés par les départements qui sont juges et parties puisqu’ils évaluent des jeunes dont ils auront la charge s’ils sont reconnus mineurs, s’inquiète Franck Ozouf, chargé de projet « migration et accès aux droits » au Secours Catholique-Caritas France. Ces entretiens se font sans la présence d’un avocat ou d’un représentant associatif et ressemblent bien souvent à de véritables investigations. » Quant aux tests osseux, ils présentent une marge d’erreur pouvant aller jusqu’à 4 ans. C’est ce que dénoncent de nombreuses associations qui, avec les hautes instances scientifiques et médicales et le Défenseur des Droits, demandent qu’ils soient interdits.

Des enfants en situation de vulnérabilité totale

Dans le rapport déjà cité, le HCR précise que les procédures de détermination de l’âge devraient reposer sur une approche globale et multidisciplinaire. « L’approche idéale n’existe pas, reconnaît Franck Ozouf. C’est le public le plus vulnérable puisqu’il s’agit à la fois d’enfants et de migrants. On devrait être dans une logique de protection, or on est dans la suspicion. Notre préconisation est de faire confiance aux déclarations du jeune et de se fier aux papiers fournis. »

C’est d’ailleurs sur la base de ces mêmes papiers, qui attestent de leur minorité, que ces enfants se voient souvent refuser l’accès aux centres d’hébergement réservés aux adultes lorsque leur prise en charge est refusée par les départements. Bien qu’ils aient la possibilité de saisir eux-mêmes un juge pour faire appel de la décision de majorité, ils se retrouvent alors sans aucun soutien. « Cela pose la question de l’effectivité du droit au recours, précise Franck Ozouf. En effet, les droits du jeune courent tant que la décision n’est pas prise. Mais si le département l’évalue majeur, la prise en charge s’arrête. Et le jeune se retrouve à la rue en attendant le recours. »

Les derniers à avoir été mis à l’abri

La crise sanitaire actuelle a encore aggravé ces situations déjà critiques. L’État a mis en place un filet de sécurité pour que les personnes à la rue bénéficient d’un toit et soient ravitaillées. « Les mineurs non accompagnés ont été les derniers à être mis à l’abri et les premiers déconfinés, constate Franck Ozouf. Les jeunes en attente de recours devant le juge devaient bénéficier du maintien de leur prise en charge du fait de cette présomption de minorité et de la situation sanitaire. Mais départements et État se sont renvoyé la balle. Il a fallu saisir les tribunaux qui, à chaque fois, ont tranché pour une prise en charge par le département. Même la Cour européenne des Droits de l’Homme a dû intervenir pour exiger de la France cette prise en charge sur des situations individuelles. »

Au moment du déconfinement, il a été décidé que l’urgence sanitaire et la trêve hivernale seraient prolongées jusqu’en juillet. Pourtant, les mineurs que les départements considèrent comme majeurs ont été remis à la rue. Dès le 11 mai dans certains territoires. Et Franck Ozouf de conclure : « Le filet de protection étatique ne s’est pas mis en place pour les mineurs non accompagnés. »

À lire aussi le témoignage de Ghorban, jeune afghan du film documentaire Cœur de pierre, qui a vécu l’exil.

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