Ghovodi intervient dans une zone en proie à des conflits armés, quelles sont les conséquences de cette situation sur les droits des enfants ?
Ghovodi : L’est de la République démocratique du Congo (RDC) est dévasté par des conflits armés depuis plusieurs décennies. Des conflits nourris par des tensions interethniques, des rivalités politiques et la course pour le contrôle de ressources naturelles précieuses, nombreuses sur notre territoire. L’impact de ces violences sur le développement des communautés est catastrophique. Les droits humains sont piétinés. Et les enfants en sont, avec les femmes, les premières victimes : violences et notamment violences sexuelles, déplacements internes, écoles fermées ou attaquées, absence de soins de santé primaire (dont la vaccination), malnutrition, pauvreté extrême… Il est estimé qu’en 2024, 14,9 millions d’enfants sont dans le besoin. Dans ces conditions de vie précaires*, leur survie reste fragile.
Les déplacés internes sont très nombreux en RDC. Dans quelles conditions vivent-ils et quel impact sur les enfants ?
Ghovodi : Le nombre d’habitants forcés de se déplacer pour fuir les conflits a atteint plus de 7 millions dont 4,1 millions d’enfants. C’est la 2e plus grande crise migratoire en Afrique. Les conditions de vie dans les camps, surpeuplés, sont très difficiles. Il y manque de tout : eau, nourriture, produits d’hygiène, mais aussi matériels de cuisine, vêtements… Les personnes ont fui leur village en laissant tout derrière elles.
Les enfants sont aussi nombreux à y vivre seuls. Soit parce que leurs parents sont morts, soit parce qu’ils ont été séparés d’eux dans la précipitation du déplacement. Et puis, beaucoup d’entre eux n’ont plus accès à l’éducation depuis qu’ils ont été contraints de fuir. Voire même depuis plus longtemps. Plusieurs bâtiments ne sont plus accessibles en raison des dégâts subis, certains ont été détruits. Il est d’ailleurs important de préciser que ceux qui fréquentent l’école se retrouvent souvent dans des classes surchargées, exposés au manque de matériel et à l’insécurité permanente.
Des fléaux tels que l’exploitation des enfants sont en général exacerbés en période de conflits…
Ghovodi : Oui, nous l’observons aussi dans le Nord-Kivu où l’exploitation sexuelle et économique des enfants est malheureusement fréquente. Leurs conditions de vie en font des proies faciles.
L’enrôlement forcé dans les groupes armés est un véritable fléau. Selon l’Unicef, entre 3 000 et 5 000 enfants seraient actuellement impliqués dans des groupes armés en RDC. Un nombre certainement sous-estimés car peu facile à évaluer. Ces enfants – garçons et filles – sont exploités, parfois dès l’âge de 8 ans, comme combattants, porteurs, espions, aides-cuisiniers ou sont mariés de force. Et sont victimes d’abus physiques, sexuels et psychologiques.
Sur quoi aimeriez-vous alerter la communauté internationale ?
Ghovodi : Nous voulons alerter la communauté internationale sur l’urgence et la nécessité :
- d’accompagner sur le plan psychologique les enfants en souffrance, qui viennent de passer plus de deux ans sans étudier et qui ont perdu espoir ;
- de mobiliser des ressources pour répondre aux graves problèmes de malnutrition, de manque de soins et d’accès limité à l’éducation ;
- de permettre aux victimes de violences d’accéder à la justice ;
- d’appeler les parties aux conflits à cesser les hostilités. La communauté internationale devrait œuvrer inlassablement pour faire taire les armes. Il est triste d’observer sans agir pendant que les droits des enfants sont piétinés.
Comment les enfants et adolescents que vous accompagnez envisagent-ils leur avenir ?
Ghovodi : Ce n’est pas facile. Mais les activités de résilience que nous menons avec eux les apaisent et les orientent pour qu’eux aussi commencent à envisager leur projet de vie. Nous les aidons à dépasser leurs traumatismes et à retrouver confiance en eux et en les autres. Les résultats de ces ateliers sont vraiment réconfortants. Petit à petit, les enfants et adolescents retrouvent l’envie et l’espoir de vivre dans un monde où leur dignité et leurs droits sont respectés.
Qu’est-ce que la Convention relative aux droits de l’enfant et le comité qui en est rattaché, le Comité des droits de l’enfant, apportent à la situation des enfants dans votre pays ? Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ?
Ghovodi : La Convention relative aux droits de l’enfant est un instrument clé pour aider à stabiliser la situation des enfants… si elle est respectée. Il est important de rappeler que les États se sont engagés à appliquer les prescrits de la convention, ainsi que le Protocole facultatif à la CDE, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés.
Nous pensons que si tous les acteurs s’impliquent et si les auteurs des violences sont sanctionnés, les enfants de l’est de la RDC recouvreront la liberté. Et, surtout, vivront dans un monde où les adultes sont sensibles à leurs préoccupations les plus profondes.
*Selon la Banque mondiale, la RDC figure parmi les cinq nations les plus pauvres du monde. En 2024, 73,5 % des Congolais vivent avec moins de 2,15 dollars par jour. Et environ une personne sur six qui vit dans des conditions d’extrême pauvreté en Afrique subsaharienne habite en RDC. Selon l’indice de capital humain 2020, la RDC se classe au 164e rang sur 174 pays. Son indice (0,37) est en dessous de la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne (0,40). Le taux de retard de croissance des enfants de moins de 5 ans est de 42 % en RDC. Et la malnutrition est la cause sous-jacente de près de la moitié des décès de cette classe d’âge.