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article sur les effets de la pandémie de covid-19 sur les efnants et les jeunes. Interview d'un économiste de la Banque mondiale
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Interview. Sauver la génération Covid !

« Effondrement et redressement », ainsi s’intitule le dernier rapport de la Banque mondiale sur l’impact de la covid-19 sur les enfants et les jeunes. Un titre qui en dit long sur l’urgence qu’il y a à soutenir toute une génération dont le développement et les apprentissages ont été cruellement mis à mal. Explications avec Norbert Schady, économiste en chef Développement humain à la Banque mondiale et co-auteur du rapport.

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Le rapport de la Banque mondiale évalue l’impact de la pandémie en perte de capital humain pour les jeunes. Qu’entendez-vous par là ?

Le capital humain, c’est tous les acquis en termes de santé, d’éducation et de compétences qu’une personne accumule depuis sa naissance et qui détermine sa productivité et ses revenus. C’est souvent le seul bien que possèdent les personnes les plus pauvres. Les trajectoires du capital humain se dessinent pendant l’enfance, l’adolescence et le début de l’âge adulte. Or la pandémie de covid-19 a fait dévier cette trajectoire au moment le plus critique de la vie de toute une génération. Notre rapport évalue ces pertes de capital humain chez les enfants de 0 à 5 ans, chez ceux en âge scolaire (de 6 à 14 ans) et chez les jeunes de 15 à 24 ans. Il constate que les plus jeunes ont manqué de services essentiels comme la vaccination, la fréquentation des écoles maternelles, et ont parfois dû sauter des repas. Cela a entraîné une baisse importante de leur développement cognitif et socio-émotionnel qui pourrait se traduire par une réduction de 25 % de leurs revenus futurs.

Pour les enfants d’âge scolaire, les fermetures d’écoles sans précédent dans le monde ont fait perdre au moins une année d’enseignement en présentiel, ce qui représente de graves déficits d’apprentissage. Quant aux jeunes, ils ont également été très affectés en raison d’un fort recul de l’emploi. On note une augmentation substantielle du nombre de jeunes inactifs, plus de 1,6 million par exemple rien qu’au Pakistan. Dans ces trois tranches d’âge, les impacts de la pandémie ont été systématiquement pires pour les enfants issus de milieux défavorisés.

En Occident, on a beaucoup parlé de l’impact psychologique des périodes de confinement sur les enfants et les jeunes. Ce phénomène s’observe-t-il dans d’autres régions du monde ?

Les effets de la pandémie ne se sont pas limités à la mortalité, à la croissance économique ou à la pauvreté. Bien des ménages ont été accablés par le stress. La qualité de l’environnement familial des jeunes enfants s’est fortement détériorée pendant cette période. Les maladies mentales, les violences domestiques, les grossesses d’adolescentes et les mariages précoces ont augmenté dans certains contextes. Une étude récente estime qu’en mai 2022, au moins 7,5 millions d’enfants étaient devenus orphelins à cause de la pandémie, majoritairement en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud.

En outre, même en l’absence de décès, la pandémie a entraîné une dégradation de la santé mentale des mères et une augmentation de la proportion des jeunes enfants soumis à des châtiments corporels sévères, deux facteurs prédictifs de mauvais résultats scolaires pour les enfants. Près de 53 % des ménages avec des enfants d’âge scolaire interrogés en Algérie, Égypte, Jordanie, Syrie, Tunisie, au Maroc et au Qatar ont déclaré que leurs enfants avaient des difficultés mentales et émotionnelles. Au Kenya, 50 % des adolescents ont déclaré souffrir de symptômes liés à la dépression. Il ne s’agit là que de quelques exemples des nombreuses études que rassemble notre rapport et qui témoignent clairement d’un déclin de la santé mentale chez les jeunes du monde entier.

Les fermetures d’écoles ont été décidées dans l’urgence. Les risques ont-ils été anticipés ?

Il est toujours facile de parler a posteriori et nous ne pouvons pas porter de jugement sur les décisions politiques prises au cours d’une pandémie d’une ampleur inédite. Notre rapport se concentre sur la perte de capital humain pendant cette période, sur les enseignements à en tirer et sur la manière dont nous pouvons aller de l’avant pour rattraper ces pertes. Les pays qui avaient un bon accès aux données ont pu adapter leurs politiques et prendre des décisions mieux informées. Le choix de laisser ou non les écoles ouvertes a été fait également en fonction de la propagation du virus dans les pays et de l’efficacité des mesures de confinement.

Notre rapport montre aujourd’hui que les fermetures d’écoles ont porté un coup sévère à l’apprentissage des élèves, ainsi qu’à leur développement en général au cours de leur premier cycle de vie. Dans de nombreux pays, les enfants d’âge préscolaire ont perdu plus de 34 % de leur apprentissage du langage et de la lecture, et plus de 29 % de celui des mathématiques par rapport aux cohortes prépandémiques. Pour les enfants d’âge scolaire, on relève qu’en moyenne chaque période de 30 jours de fermeture d’école s’est traduite par une perte d’environ 32 jours d’apprentissage. Les étudiants d’aujourd’hui pourraient perdre jusqu’à 10 % de leurs revenus futurs en raison des chocs éducatifs induits par la covid-19. Les pays doivent agir très rapidement car les écarts constatés aux premiers stades du cycle de vie ont tendance à s’accentuer au fil du temps. (Plus d’infos sur la situation de l’éducation dans le monde ici)

effets de la pandémie de covid-19 sur les enfants et les jeunes

Votre rapport propose des solutions en ce sens : la prolongation de la période préscolaire pour les tout-petits, l’adaptation des apprentissages et l’augmentation du tutorat pour les enfants scolarisés, enfin le développement des aides à l’insertion professionnelle pour les 15-24 ans. Comment les pays concernés répondent-ils à ces recommandations ?

Les recommandations politiques qui figurent dans notre rapport ne sont pas de notre cru. Nous avons consulté la littérature existante sur le développement et sélectionné les solutions qui ont été testées et se sont avérées efficaces par le passé. Le Groupe de la Banque mondiale (GBM) s’est engagé à soutenir les pays dans leurs efforts pour récupérer les pertes en capital humain tout en faisant face à l’urgence des crises qui se chevauchent. Avec un portefeuille d’environ 24 milliards de dollars dans 95 pays, nous sommes la plus grande source de financement externe pour l’éducation dans les pays en développement.

Peut-on espérer que ce sera l’occasion de renforcer durablement les systèmes d’éducation des pays ?

Absolument ! Un chapitre entier de notre rapport traite de la nécessité de saisir cette opportunité pour reconstruire des systèmes de développement humain agiles, résilients et adaptatifs, et notamment les systèmes d’éducation. Il est important de noter que les systèmes d’apprentissage ou d’éducation sont interconnectés avec d’autres comme la santé, la protection sociale ou le travail. Pour s’épanouir pleinement et réussir dans la vie, un enfant a besoin d’un développement précoce approprié, d’une bonne santé et de perspectives d’emploi.

Comment des ONG comme le BICE, peuvent-elles contribuer à cet effort ?

Les ONG telles que le BICE peuvent apporter leur aide de nombreuses manières. Dans bien des cas, elles sont les mieux placées pour financer ou mettre en œuvre beaucoup des recommandations présentées dans notre rapport. En particulier les ONG qui ont déjà des partenaires et des projets en cours car elles peuvent comprendre rapidement et efficacement les besoins des communautés locales et les soutenir de la meilleure façon. Dans la mesure du possible, elles doivent s’associer à d’autres acteurs clés, y compris les organismes gouvernementaux nationaux, régionaux et locaux et les organisations internationales, afin de maximiser la portée et l’impact de leurs programmes.

Un résumé très complet du rapport « Effondrement et redressement » est disponible en ligne, sous format pdf : bit.ly/44h9dbA

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