Ils ont parfois à peine six ans, ces enfants aidants appelés à prendre soin au quotidien d’un père en situation de handicap, d’une mère frappée par un cancer, d’un frère ou une sœur gravement malade… Nous n’évoquons pas ici les situations qui relèvent de la solidarité familiale, mais celles où les responsabilités endossées par les enfants sont lourdes, souvent bien au-dessus de leur âge, au point parfois de mettre en danger leur équilibre physique ou psychique et leur avenir.
Pourtant, jusqu’à très récemment, rien n’était pensé ni fait pour eux ; ils n’avaient même pas d’existence légale. « Nous sommes jugés trop jeunes pour entendre le diagnostic médical, mais tout à coup, nous ne sommes plus jeunes quand il s’agit de venir nourrir nos parents à l’hôpital parce qu’ils ne peuvent plus le faire eux-mêmes. » Cette intervention d’une ancienne enfant aidant lors d’une rencontre avec la ministre Agnès Buzyn dit tout. Tout du manque de reconnaissance et de prise en compte de ces enfants, comme de la dureté des situations auxquelles ils font face.
Aménager des temps de répit à ces enfants aidants
Avec beaucoup de retard par rapport à d’autres pays comme la Grande-Bretagne, la Belgique, les pays d’Europe du Nord…, la France commence à chercher des solutions pour soulager le quotidien de ces enfants. L’association nationale JADE (Jeunes aidants ensemble) a beaucoup œuvré en ce sens. « JADE a été créée en 2016, à la suite d’ateliers de création cinématographique à destination des jeunes aidants menés dans l’Essonne, explique Amarantha Bourgeois, la directrice de l’association. Ces ateliers-répit ont montré à quel point ces jeunes avaient besoin de temps de pause et d’échanges, et combien ces moments étaient bénéfiques également pour leur famille. L’association s’est donné comme objectif l’essaimage de ces pratiques dans toute la France. »
Accompagner plutôt que placer
L’association s’adresse aux jeunes aidants, jusqu’à 18 ans, et aux jeunes adultes aidants, jusqu’à 25 ans. La distinction est importante, car si les seconds peuvent généralement profiter des mesures prises pour les aidants adultes, comme les aides financières, les aménagements du temps de travail… jusqu’à peu, les plus jeunes n’avaient rien. On ne sait même pas très bien les dénombrer.
Selon une étude réalisée en 2017 par Ipsos et Novartis, ils seraient 500 000 en France. « En réalité, c’est sans doute beaucoup plus, précise Amarantha Bourgeois. On estime que dans chaque classe, il pourrait y avoir deux jeunes aidant un proche, peut-être plus dans les lycées. » Mais beaucoup d’entre eux taisent leur situation. Par peur d’être stigmatisés voire, pour certains, placés en famille d’accueil.
« Le placement doit rester le dernier recours quand l’état du malade se dégrade et que l’enfant vit seul avec lui. Ce dont ces enfants ont besoin, et ce pour quoi nous militons, c’est un renforcement de l’accompagnement à domicile. Dans 20 % des cas, l’enfant fait des gestes de soins, voire la toilette du malade. Cela peut perturber la construction de son identité. Alors que, par ailleurs, aider peut être une fierté et apporter un sentiment de maturité. Car les enfants acquièrent des compétences, et pas seulement techniques, mais aussi humaines. »
Adapter les rythmes scolaires de ces enfants aidants
Des solutions pour les enfants aidants existent. Elles sont déjà mises en place pour les enfants en situation de handicap ou de maladie grave. Le plan Agir pour les aidants prévoit enfin de les étendre aux enfants aidants. Ainsi, depuis fin 2019, ces derniers peuvent bénéficier d’un aménagement du rythme scolaire, pour le suivi des cours et les examens. En 2020, deux expérimentations seront menées, en Île-de-France et en Occitanie. Elles permettront de former les membres de l’Éducation nationale à repérer et orienter les jeunes aidants, grâce à des outils coconstruits avec le monde associatif. Le plan prévoit également de développer les ateliers artistiques-répit. Et de mettre l’accent sur la santé des jeunes aidants, notamment leur santé psychique.
« Leur donner le temps de faire des provisions d’amour »
Amarantha Bourgeois se réjouit de ces avancées qui montrent que la parole des enfants a été entendue. « Il n’y a rien qui me brise plus le cœur que d’apprendre que Yasmina a arrêté le collège pour s’occuper de sa mère. C’est pourquoi il faut absolument permettre à ces jeunes de mener de front leur scolarité et l’aide qu’ils apportent à leur parent malade. Car le plus souvent, ils tiennent à être présents. Je me souviens d’un enfant dont la maman était atteinte d’une maladie incurable. Il me disait qu’il souhaitait rester le plus longtemps possible auprès d’elle, afin de faire des provisions d’amour pour plus tard, comme un écureuil emmagasine des noisettes avant l’hiver. »
Chacun de ces enfants aidants est une force vive de sagesse et d’amour. Il revient, à nous tous, État, école, association, individu, de savoir la protéger et la faire grandir.