« Un enfant sur cinq dans le monde vit dans une zone de guerre, soit 473 millions d’enfants. Chaque jour, 31 d’entre eux subissent des violences ou des mutilations, c’est comme si une classe entière devenait victime d’un conflit. » C’est en ces termes que le père Enzo Fortunato, président du Comité pontifical pour la Journée mondiale des enfants, a commencé son intervention lors de la conférence mercredi 11 décembre à l’Université catholique de Milan. Le père Fortunato a de surcroît rappelé l’enseignement de Jésus, qui a exhorté ses disciples à regarder le monde avec l’émerveillement propre aux enfants : « Nous devrions tous le faire, surtout les puissants, qui devraient se demander ʺquel avenir voulons-nous donner à nos enfants ?ʺ »
Les cicatrices invisibles des conflits
« La gravité des conflits ne s’arrête pas lorsque les armes se taisent, les conséquences laissent des traces dramatiques dans le corps et dans l’âme. Le besoin d’aide et d’assistance demeure même lorsque la communauté internationale porte son attention ailleurs », a ajouté Marco Caselli, directeur du Centre universitaire de solidarité internationale (Centro di Ateneo per la Solidarietà Internazionale-CeSI). Un constat partagé par la secrétaire générale du BICE, Alessandra Aula : « L’année même du 35e anniversaire de l’adoption de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, 52 pays sont en guerre, des dizaines de milliers de vies sont brisées par les conflits. Le BICE s’efforce d’être présent dans ces lieux et d’apporter son aide, c’est une façon de dire : ʺNous sommes avec vous dans cette tragédie, nous vous tenons la mainʺ. »
Un aperçu juridique des règles protégeant les mineurs dans les contextes de guerre a ensuite été donné par Eleonora Branca, professeure de droit international. Partant de données montrant une augmentation de 21% des violations par rapport à l’année dernière, elle a passé en revue les grandes lignes du droit international humanitaire et les principes fondamentaux des droits de l’enfant à cet égard.
Les dessins des enfants : langage du traumatisme et de l’espoir
Des dessins déchirants créés par des enfants du monde entier ont été présentés par la professeure Cristina Castelli, coordinatrice de l’unité de recherche Résilience du département de Psychologie de l’université catholique de Milan. On y voit des drones et des bombes, des maisons abandonnées et sans fenêtres, des corps mutilés dessinés dans des couleurs sombres. Autant de récits d’horreur et de mort, de questions sans réponse sur le sens de ce qu’ils vivent, d’expressions de leurs désirs, de représentations de la peur et du traumatisme, mais aussi d’un espoir inébranlable. « Ils nous montrent ce qu’est la guerre pour les enfants : des morts, des blessés, des ambulances, des vols, des camps de réfugiés, explique Cristina Castelli. Les ateliers de résilience autour du dessin sont un défi et un espoir. Il est aussi important de partager les réalisations avec les enfants qui ne vivent pas dans des pays en guerre car nous devons en garder la mémoire pour l’éviter. Nous devons éduquer à la paix. »
Israéliens et Palestiniens : une douleur partagée, une quête de réconciliation
« Les larmes ont la même couleur », même celles des Israéliens et des Palestiniens. Et c’est la même douleur qui unit Robi Damelin et Layla al-Sheikh, représentantes du Cercle des parents. Elles ont toutes deux perdu leur enfant ; et peu importe que l’un ait été un soldat israélien conscrit et l’autre un enfant palestinien. « J’ai d’abord ressenti de la haine et de la colère, puis j’ai réalisé que nous méritions une vie meilleure et que nous ne pourrons l’obtenir qu’en apportant la paix. Un cessez-le-feu ou un accord ne suffisent pas, nous avons besoin de réconciliation. Nos enfants nous demanderont ce que nous avons fait pour changer cette situation et nous ne pouvons pas répondre que nous n’avons rien fait », explique Layla, connectée depuis Jérusalem, Lorsque des bombes tombent ici, nous ne savons même pas qui les a lancées. Robi m’appelle depuis le début de la guerre, ma fille a compris ainsi que les Israéliens et les Palestiniens ne se haïssent pas tous. »
En Ukraine, le travail de WCU, partenaire du BICE
Svitlana Tabaranova de Women’s Consortium of Ukraine (WCU) a ensuite évoqué son travail auprès des enfants à Kiev. « Nous travaillons dans le froid, sans lumière et sans électricité, mais avec des livres silencieux, des jeux thérapeutiques et un soutien psychologique, les enfants apprennent à vivre dans la guerre, à connaître leurs ressources internes et externes, et à espérer en l’avenir », explique Svitlana. Elle poursuit en expliquant les initiatives de WCU, soutenues par le BICE : « En juin 2023, malgré les bombes, nous avons ouvert notre espace de résilience à Kiev, une pièce avec un tapis confortable sur lequel les enfants peuvent marcher sans chaussures, un endroit sûr où parents et enfants peuvent s’exprimer, jouer, parler à des thérapeutes et, en même temps, apprendre la valeur de la résilience. »
Témoignages de jeunes enrôlés dans la guerre en RD Congo
La conférence s’est terminé » avec la lecture par le père Elie Molumba de témoignages de jeunes enrôlés par des groupes armés en République démocratique du Congo. Houda, 16 ans, raconte : « J’ai combattu trois fois sur le terrain et j’ai vu mourir beaucoup de gens comme moi. J’aimerais tout effacer et choisir un uniforme d’école plutôt qu’un uniforme de milicien. » Un autre jeune homme confie : « J’ai été convaincu par mon meilleur ami de rejoindre la milice. Mais, aujourd’hui, je voudrais être enseignant pour que plus aucun enfant ne se batte. » Et le père Molumba de conclure : « Eux aussi sont des victimes. »