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Droit à l'identité au Togo- défendre les enfants dits invisibles
© T.P. / BICE
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Enfants dits invisibles. « Une situation injuste et humiliante »

Dans la région rurale du sud-est du Togo, le partenaire du BICE, A2PEJF continue ses actions en faveur du droit à l’identité, soutenu par notre association. Soglo, aujourd’hui scolarisée en CM2, a retrouvé le chemin de l’école grâce à ce projet. Reportage.

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Assise au 2e rang, Soglo, uniforme rose et bleu marine, écoute attentive l’enseignant. Dans sa salle de classe en terre battue, briques et charpente apparentes, toit de tôle, une trentaine d’enfants sont installés comme elle derrière leur bureau d’écolier en bois. Face à eux, un immense tableau noir recouvert d’écriture et le maître qui les prépare à l’examen de fin d’année de CM2, le Certificat d’étude du premier degré (CEPD), indispensable pour passer en 6e.

Exclusion du système scolaire faute d’acte de naissance

« J’aime les mathématiques et le français. J’aime étudier pour comprendre les choses, confie la fillette, scolarisée à Attitogon au sud-est du Togo. Je suis tellement contente depuis la rentrée de pouvoir à nouveau venir en classe. » Car oui, Soglo a été privée d’école pendant près d’un an. Un an à tourner en rond, livrée à elle-même, ou à aider ses parents dans leurs activités professionnelles. La raison de cette exclusion du système scolaire ? Elle n’a pas été enregistrée à l’état civil à sa naissance. Et sans cette formalité administrative, impossible de passer le CEPD et de continuer ses études en 6e. « Quand on m’a renvoyée au début du CM2 l’année dernière, j’étais tellement triste et inquiète. Nous étions plusieurs dans le même cas. Nous ne comprenions pas. C’était injuste et humiliant… »

Dans cette zone rurale du sud-est maritime du Togo, ce qu’a vécu Soglo est loin d’être un cas isolé. « Beaucoup de parents ne sont pas allés à l’école. Ils ne se rendent pas compte de l’importance de l’acte de naissance, ne savent pas à quoi il sert. Ils ne prennent donc pas le temps, dans les 45 jours après l’arrivée de leur bébé, de faire les démarches nécessaires, qui peuvent d’ailleurs leur sembler compliquées. Avant janvier 2022, le coût de cette formalité pouvait aussi représenter un frein. Depuis, ce n’est plus le cas puisque l’acte est devenu gratuit », explique Mawouto Afansi, directeur de A2PEJF*, l’un des partenaires du BICE au Togo.

Jugements supplétifs et campagnes d’information sur l’acte de naissance

Pour aider ces enfants dits invisibles, privés d’éducation mais aussi de la plupart de leurs droits** – sans enregistrement à l’état civil, une personne n’a pas d’existence légale -, le BICE a soutenu entre septembre 2020 et février 2022 un projet d’A2PEJF. 516 enfants de 10 villages ont été accompagnés. Dont Soglo. Et des actions de sensibilisation ont été menées auprès des habitants et des chefs communautaires.

« Nous avons pris en charge sur le plan administratif et financier les démarches à réaliser auprès du tribunal puis de la mairie pour obtenir un jugement supplétif d’acte de naissance. Ces formalités sont longues, compliquées et coûteuses (environ 8 000 FCFA). Inaccessibles pour les familles, la plupart paysannes, qui vivent de petits revenus, explique Mawouto Afansi. Nous continuons actuellement ce travail dans le cadre d’un nouveau projet avec le BICE dans lequel nous avons prévu de régulariser la situation de 80 enfants. Nous organisons aussi des campagnes d’information dans sept villages, les plus reculés. »

Création de comités communautaires pour défendre le droit à l’identité

L’enregistrement à l’état civil étant désormais gratuit dans les 45 jours suivant la naissance, A2PEJF et le BICE ont choisi de renforcer les actions de sensibilisation. L’équipe de l’association togolaise sillonne ainsi la campagne pour informer le plus grand nombre. Aidée par des personnes relais dans chacun des villages concernés. « Notre objectif est qu’il n’y ait plus, dans notre zone d’action, de parents qui n’effectuent pas cette démarche à la naissance de leur enfantLa création de comités communautaires de proximité, chargés de défendre et promouvoir les droits de l’enfant, est un appui important, très efficace. »

Parallèlement, A2PEJF continue petit à petit à remettre la retranscription du jugement supplétif à des enfants jusqu’alors « invisibles », leur permettant notamment de continuer l’école. Une joie à chaque fois, un soulagement. Et Soglo de nous confier, tout sourire : « Maintenant, je peux au moins espérer aller jusqu’en 3e et apprendre encore plein de choses. »

*A2PEJF : Association pour la promotion et la protection de l’enfant et de la jeune fille

** Le non-enregistrement des naissances a aussi une incidence sur le plan politique. Si un État ne connait pas le nombre de sa population, il lui est impossible de construire correctement ses politiques publiques, de prévoir les services publics (écoles, hôpitaux, administrations…) adaptés.

Autre obstacle au droit à l’identité : la fraude à l’état civil

Dans le cadre de son travail en faveur du droit à l’identité, A2PEJF a été confronté à un autre problème : la fraude à l’état civil. Certains agents enregistrent les naissances hors délai ou fournissent des faux actes de naissance. En échange de sommes d’argent importantes. Dans les deux cas, les parents payent pour des papiers qui n’ont aucune valeur légale. Une fraude qui excède Mawouto Afansi, directeur de A2PEJF, partenaire du BICE dans cette région du Togo. « C’est un acte grave qui trompe de surcroît des familles vulnérables, prêtes à dépenser le peu qu’elles ont. L’agent leur donne de l’espoir, leur fait croire que leurs problèmes seront résolus alors qu’ils les enfoncent encore plus. C’est détestable. » Pour lutter contre ces agissements frauduleux, A2PEJF organise depuis 2020 des formations en direction des agents d’état civil et sensibilise les autorités locales sur la gravité de tels actes. « Notre travail porte ses fruits ; ce type de fraude a diminué. Nous menons toutefois régulièrement des campagnes de rappel. De plus, il est essentiel que quand cela arrive, l’agent soit systématiquement sanctionné. D’où l’importance de travailler en collaboration avec les autorités locales. Nous le faisons et, heureusement, ça fonctionne. »

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