Vous enquêtez depuis plusieurs années sur la LRA, un mouvement connu pour ses enlèvements massifs d’enfants. Pourquoi revenir sur la question des enfants soldats ?
Jonathan Littell : Mes précédents reportages pour M, le magazine du monde concernaient plutôt les déprédations actuelles de la LRA et les opérations anti-LRA en cours que le cœur du sujet, à savoir le vécu et le rapport à la responsabilité personnelles d’enfants enlevés très jeunes et forcés à commettre des atrocités.
Vous dites que les ex-enfants soldats interrogés niaient les crimes commis. Comment avez-vous pu convaincre vos protagonistes de revenir sur les lieux de leurs exactions ?
J. L. : Chaque personne avec qui nous avons travaillé est allée jusqu’au point où elle le souhaitait, et pas au-delà. Mike, par exemple, ne parle jamais de crimes, uniquement de combats, et se cantonne dans une posture assez confortable d’« ancien combattant ». Avec Geofrey, nous avons eu la chance de trouver quelqu’un prêt à aller jusqu’au bout, à affronter tous ses démons et à parler de tout. […]
Vous leur faites rejouer la « cérémonie d’enrôlement » où on leur dit qu’ils vont se battre pour une cause. Des groupes armés aussi violents ont besoin d’une justification morale ?
J. L. : C’est une erreur terrible de considérer que, parce qu’ils utilisent des méthodes atroces, des groupes comme la LRA n’auraient pas de visées politiques. Depuis le début du conflit, le gouvernement ougandais a cherché sciemment […] à peindre la LRA comme une armée de fous sans buts autres que la violence pour la violence.
Or, c’est faux. La LRA a bénéficié, les premières années du moins, d’un fort soutien politique de la société acholie (peuple d’Afrique de l’Est, vivant principalement dans le nord de l’Ouganda). Ses hommes avaient le sentiment de se battre pour une cause juste. Plus tard, lorsque Kony, le leader de la LRA, a choisi d’enrôler de façon massive des adolescents, son discours politique -et religieux – faisait, avec la terreur exercée, partie intrinsèque du processus d’endoctrinement.
Vos protagonistes ont été bien reçus par les leurs après avoir fui la LRA. Est-ce une exception ?
J. L. : Généralement, les anciens LRA sont bien acceptés par leurs familles […]. Mais les femmes ont plus de problèmes que les hommes : très souvent, même si un nouveau mari les accepte avec leurs enfants nés dans le bush, ceux-ci, par peur du cen (contamination spirituelle polluante), sont craints et rejetés par la famille du mari.
La jeune Nighty dit qu’avec ce film « le monde entier va savoir ». Ces enfants ont-ils besoin d’une reconnaissance ? Se vivent-ils comme des victimes ?
J. L. : La reconnaissance semble en effet importante. Quant à la question de la victimisation, la société acholie en entier les considère comme des victimes, et le leur dit. Il s’agit là d’une approche et d’une décision politique et humanitaire autant que morale.
Qu’est-il entrepris pour apporter un soutien à ces enfants élevés dans la violence et privé d’éducation ?
J. L. : Pour le moment, pas grand-chose. C’est un réel problème.
Wrong Elements : 3 nominations au Festival de Cannes : L’œil d’Or, Séance Spéciale et Caméra d’Or – Sortie en salle : le 22 mars 2017
Retrouvez ici l’interview complète de Jonathan Littell pour le BICE
Le BICE met en place des formations « Tuteurs de résilience » en RDC pour aider les enfants des rues, dont de nombreux anciens enfants soldats, à surmonter leurs traumatismes.