Alors que la covid-19 est sur toutes les lèvres et dans tous les esprits, d’autres maladies refont dangereusement surface. Et ce, en raison d’un brutal recul de la vaccination. Diphtérie, tétanos, rougeole, coqueluche… Sait-on combien ces maladies, dont les noms semblent appartenir à un monde révolu, ont des conséquences graves sur la vie ou le développement des enfants ? Comme le rappellent les experts de l’OMS interrogés par Enfants de Partout, « les maladies évitables grâce à la vaccination peuvent être potentiellement mortelles ou invalidantes. La rougeole, quand elle ne tue pas, peut causer la cécité, la surdité et des lésions cérébrales ; les oreillons peuvent engendrer une infertilité ; la rubéole, si elle est contractée pendant la grossesse, peut provoquer des fausses couches, des morts in utero ou des malformations congénitales. »
La résurgence de ces maladies, tout particulièrement dans les pays à faible revenu, voit son impact aggravé par les problèmes de malnutrition et la mauvaise qualité des soins. Ainsi, rien qu’en 2019, toujours selon l’OMS, la rougeole a causé, à elle seule, plus de 200 000 décès.
17 millions d’enfants laissés sans vaccin
Si la vaccination infantile continue à reculer, c’est une nouvelle crise sanitaire qui menacera, et même une « catastrophe sanitaire », selon les termes du message d’alerte lancé conjointement par l’OMS et l’Unicef à la mi-juillet. Le retard pris, l’année dernière, nous ramène une décennie en arrière. En effet, en 2020, 23 millions d’enfants n’ont pas reçu les vaccins de base, comme ceux contre la diphtérie ou le tétanos. Soit une hausse de 3,7 millions par rapport à 2019. Parmi eux, jusqu’à 17 millions n’ont probablement reçu aucun vaccin au cours de l’année 2020.
Les plus touchés sont les enfants qui vivent dans des zones de conflits, des endroits reculés et/ou de grande pauvreté ; où l’accès aux soins est quasi inexistant. Mais, face à cette menace, « le monde entier est concerné, plus particulièrement l’Asie – notamment l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie – et certains pays d’Amérique, comme le Mexique et le Brésil », rappelle Azhar Abid Raza, spécialiste de la vaccination à l’Unicef*.
Une conséquence du contexte lié à la covid-19
Cet inquiétant bilan trouve en grande partie son origine dans les bouleversements subis par les services sanitaires du monde entier du fait de la pandémie. Beaucoup d’entre eux ont été fermés ou rapidement saturés. Pour les populations éloignées des villes, s’est ajoutée l’impossibilité de se rendre dans les centres de soins en raison des restrictions de déplacement. La peur de contracter la covid-19 en venant faire vacciner son enfant a également joué. Enfin, dans les premiers mois de 2020, de nombreuses campagnes de vaccination n’ont tout simplement pas pu avoir lieu. Mais le recul de la vaccination trouve également d’autres explications, antérieures à la crise actuelle et que cette dernière a pu renforcer.
Comme le rappellent les experts de l’OMS, « l’hésitation à l’égard de la vaccination est très spécifique au contexte actuel. Elle se nourrit, par exemple, de la propagation rapide, à l’ère du numérique, de mythes et de la désinformation sur les vaccins. Mais aussi de la diminution de la confiance dans les autorités et l’expertise scientifique dans certains pays et contextes. » Paradoxe de l’efficacité de la vaccination, « elle fait disparaître les maladies contre lesquelles elle protège, ce qui signifie, toujours selon les experts, que les gens peuvent avoir tendance à associer un plus grand risque aux vaccins qu’aux maladies. »
Un droit à la santé à reconquérir
Ces mêmes experts soulignent toutefois que « le manque d’accès aux services de vaccination reste un obstacle beaucoup plus important à la vaccination dans le monde que l’hésitation à l’égard des vaccins. » Il s’agit bien d’un problème d’inégalités face au droit à la santé, inégalités que personne ne peut se permettre de laisser s’installer ou s’aggraver. C’est en substance ce que dit le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS2 : « La multiplication des flambées épidémiques serait catastrophique pour les communautés et les systèmes de santé qui luttent déjà contre la covid-19. Il n’en est que plus urgent d’investir dans la vaccination des enfants et de veiller à ce que chaque enfant en bénéficie. »
Pour rattraper le retard, il va falloir mener à bien des campagnes ciblées, afin de toucher les enfants qui sont passés au travers de la vaccination en 2020. Et, insistent les experts de l’OMS, aussi convaincre et rassurer. « Les programmes de vaccination doivent répondre aux préoccupations des parents et des communautés et comporter des interventions adaptées et ciblées aux besoins locaux. »
Deux combats liés
Cette crise de la vaccination est un « signal d’alarme » selon le Dr Seth Berkley, Directeur exécutif de Gavi, l’Alliance du Vaccin. « Nous ne pouvons pas permettre que la covid-19 laisse en héritage la résurgence de la rougeole, de la poliomyélite et d’autres maladies mortelles. Nous devons tous travailler ensemble pour aider les pays à venir à bout de la covid-19, en garantissant un accès mondial et équitable aux vaccins, et pour remettre les programmes de vaccination systématique sur les rails. La santé et le bien-être futurs de millions d’enfants et de leurs communautés à travers le monde en dépendent**. »
Un message dont il faut convaincre familles, communautés et personnels soignants, résument les experts de l’OMS. « Même au milieu d’une pandémie, la vaccination des enfants reste l’une des meilleures choses que les parents puissent faire pour offrir à leurs enfants la possibilité d’une vie saine et féconde ».
*Interview du Figaro du 18/07/2021
** Communiqué de presse diffusé par l’OMS à la mi-juillet
La vaccination infantile en Inde
Faisant face à un taux très insuffisant de couverture vaccinale chez les enfants, le gouvernement indien a lancé en 2014 un vaste programme de vaccination impliquant soignants et travailleurs sociaux de tout le pays. Le docteur Kumar, qui travaille avec Aina Trust, nous raconte.
« L’objectif de la Mission Indradhanush est d’assurer une vaccination complète, avec tous les vaccins disponibles pour les enfants jusqu’à deux ans et pour les femmes enceintes. Elle est menée dans les États du pays qui comptent le plus grand nombre d’enfants partiellement vaccinés et non vaccinés. Cette vaccination couvre 7 maladies (la diphtérie, la coqueluche, le tétanos, la poliomyélite, la tuberculose, la rougeole et l’hépatite B), 7 comme les 7 couleurs de l’arc-en-ciel qui se dit Indradhanush en hindi.
Notre mot d’ordre est : “Convainquez les parents de faire vacciner leurs enfants !” Pour cela, tout le monde se mobilise : les écoles, les crèches d’État, les temples, les autorités locales, les ONG… Des annonces musicales pour alerter la population sont diffusées dans les rues par les camions poubelles. Après quoi, toutes les personnes engagées dans la Mission Indradhanush, personnel soignant des hôpitaux, membres des crèches d’État et des ONG, sages-femmes…, se rendent dans les familles ayant des enfants de moins de 2 ans et discutent avec les parents en tête-à-tête pour les convaincre que la vaccination est la meilleure chose qu’ils puissent faire pour leurs enfants. Ce programme qui a été reconduit en 2017 et 2019 vise à atteindre l’objectif de 90% de couverture vaccinale chez les enfants. »