Le documentaire est un puissant outil pour sensibiliser à des causes, changer le regard. Par exemple sur la précarité, le handicap ou la diversité. Et susciter la compassion ou la juste indignation. On se souvient avec émotion d’Ambre, Camille, Tugdual…, ces enfants atteints de très lourdes maladies qui nous donnaient une incroyable leçon de vie dans Et les mistrals gagnants. On reste ébranlé par les conflits internes de Yanie, le tout jeune adolescent d’Itinéraire d’un enfant placé. On n’oubliera pas la force fragile de Loïc, un des Enfants du terril, issu d’un quartier à l’abandon en périphérie de Lens.
Quelle protection pour l’enfant
Ces témoignages de vie, courageux et nécessaires, exposent les enfants. Comment les protéger ? Le droit y veille, comme l’explique une avocate spécialisée en droit d’auteur. « Il y a le droit à l’image, qui découle du droit à la vie privée (article 9 du Code civil). On ne peut utiliser l’image d’une personne sans son consentement, ou sans le consentement des deux parents s’il s’agit de mineurs. »
« Le droit à l’image relève également de la loi Informatique et Libertés qui protège nos données personnelles. Elle comprend tout un arsenal juridique, comme le droit à l’oubli et le droit à l’effacement. Notamment pour des images ou vidéos personnelles postées sur les réseaux sociaux. Le retrait n’est toutefois pas forcément garanti. Et les requérants peuvent se voir opposer le droit à la création, le droit à la liberté d’expression et le droit à l’information. En cas de confrontation entre tous ces droits fondamentaux, c’est le juge qui tranche. »
Un pacte de confiance
La meilleure des protections reste l’éthique du réalisateur, son respect de l’enfant et la confiance créée. « Cette confiance, elle se gagne avant, pendant et après », confie Ketty Rios Palma, réalisatrice d’Itinéraire d’un enfant placé. « Ma productrice, Mélissa Theuriau, avait produit un film sur les mères en prison auquel participait celle de Yanie. Lui-même apparaissait à l’image, mais son visage était flouté, ce qu’il ne comprenait pas. » C’est Mélissa Theuriau qui présente le garçon à Ketty Rios Palma pour un projet de documentaire sur la résilience. « Lorsque je rencontre Yanie, il n’est pas question de film. Le projet initial est tombé à l’eau, et la directrice de la structure qui le suit ne le considère pas prêt. »
C’est pourtant elle qui reprend contact avec la réalisatrice quand une famille d’accueil est trouvée pour le garçon. « Elle avait compris avec quelle bienveillance nous souhaitions le filmer et notre envie profonde de laisser Yanie s’exprimer. » Les deux parents donnent leur consentement et l’équipe tourne la rencontre avec la nouvelle famille. « Tout le monde a accepté la caméra à ce moment émotionnellement très chargé. Ce qui se passait à l’image était extrêmement fort. Nous en avons fait un petit montage qui a tout de suite plu à Arte. »
Une envie de se raconter
C’est aussi cette grande envie de se raconter qui va orienter le film Enfants du terril sur Loïc, l’aîné de la fratrie. Anne Gintzburger, la productrice, souhaite aborder la question de la précarité des enfants et son incidence sur leur psychisme. La rencontre se fait par l’intermédiaire d’un directeur d’école d’un ancien quartier minier de Lens.
« L’idée première était de raconter les dix ans de Théo, le petit frère de Loïc. À l’un des rendez-vous avec la mère, Loïc était présent et il s’est passé quelque chose de fort entre nous. Nous nous sommes tout de suite dit qu’il pourrait porter l’histoire puissante d’un jeune de quinze ans. Il avait été harcelé au collège et s’était lui-même peu à peu retiré du système scolaire. » Le projet du film l’aide à se redresser. Les scènes à tourner sont décidées avec lui. « Il a été acteur de son film, on ne lui a rien imposé », conclut Anne Gintzburger.
Poser un regard valorisant sur l’enfant
Cette confiance est indispensable autant qu’elle oblige le réalisateur. Il doit rester au plus près de son sujet sans tomber dans le voyeurisme, aller au bout de son propos sans stigmatiser. Dans le cas de Loïc, le film pouvait le marginaliser encore davantage. « C’est un risque que nous avions tout le temps en tête, beaucoup plus que lui, confie Anne Gintzburger. Quand le film a été monté, nous l’avons invité à le voir en avant-première. Je me souviens encore de sa réaction : “Vous m’avez bien raconté”».
Juste avant la diffusion, l’adolescent est néanmoins pris de panique. « Mais le lendemain, il avait des dizaines de messages sur Facebook et dans le quartier qui le félicitaient pour son courage. Je fais l’hypothèse que lorsqu’on prend grand soin de la façon dont on calibre la parole de la personne et dont on la positionne, ni en héros ni en victime, on arrive à solliciter l’intelligence et les émotions du spectateur. »
Ce même soin mis à ne pas caricaturer fait la force d’Incas(s)ables, de Ketty Rios Palma, un documentaire dans un foyer de la Protection de l’enfance qui accueille des enfants avec des troubles importants. « J’ai compris à travers mes films que la résilience de mon père, ancien enfant placé, s’était faite notamment grâce au regard que ma mère avait porté sur lui. C’est ce que j’ai cherché à faire : poser un autre regard sur ces enfants, au-delà de leur étiquette “difficiles”. D’ailleurs ils se sont trouvés beaux. La première projection a été pleine d’émotion. »
Quel droit de se rétracter ?
Aussi scrupuleux que soient les réalisateurs à se montrer bienveillants, ils n’en gardent pas moins la main sur le montage du film, et donc l’angle sous lequel est racontée l’histoire. Et si, une fois le film terminé, les enfants ne s’y reconnaissent pas, ou n’assument plus leur participation ? « Tout dépend de la façon dont la cession de droit à l’image a été rédigée, précise l’avocate. Généralement, la cession est faite pour la durée d’exploitation prévue du film, quoi qu’il arrive. Si aucune durée n’est précisée, la cession est à durée indéterminée et la personne peut révoquer son autorisation sous réserve de respecter un préavis raisonnable. »
“Nous, qui travaillons à faire exister les enfants et leurs droits par le documentaire, avons une vraie responsabilité.”
Anne Gintzburger
Voilà pour le droit. Dans la pratique, c’est l’éthique du réalisateur qui entre en jeu. « Si Loïc me disait de ne plus diffuser le film, je ferais aussitôt un courrier à la chaîne. Ce serait un cas de force majeure. » Les principales chaînes de télévision font très attention à ne pas nuire à l’image des protagonistes. C’est bien, mais cela pose également problème, selon Anne Gintzburger. « Je souhaite actuellement faire un film sur la détresse psychologique des enfants pendant la pandémie. Les médecins souhaitent qu’on alerte sur le sujet, mais les chaînes se montrent frileuses. » Et d’ajouter : « L’arrivée des chaînes “tout info” et des réseaux sociaux, accélérateurs de haine, de stigmatisation, de raccourcis, a fait beaucoup de mal à la profession. Nous qui travaillons à faire exister les enfants et leurs droits par le documentaire, avons une vraie responsabilité. »