Vous avez mené plusieurs actions auprès des familles et des enfants pendant la crise, pouvez-vous nous les décrire ?
L’Église a essayé d’être présente. Face aux actes de violence, une partie des citoyens se sont sentis vulnérables sur le plan émotionnel. Diverses activités (dessins, jeux sur les émotions, dialogues, mur d’expression…) ont ainsi été organisées par les habitants eux-mêmes et notamment les jeunes, soutenus par l’Église. Menées sur des places ou dans des jardins publics, elles ont permis de diminuer le stress causé par les événements, de promouvoir le lien social. Des espaces de dialogue et de réflexion ouverts à tous et notamment aux jeunes ont aussi été mis en place dans différents lieux et sur les réseaux sociaux. Les coordinateurs de la VPSC ont suivi une formation pour pouvoir accompagner les plaintes des personnes qui ont eu le sentiment que leurs droits avaient été bafoués. Toutes ces actions ont été chaleureusement accueillies par les habitants.
Pourriez-vous nous rappeler ce qui a déclenché le mouvement ?
L’augmentation du prix des transports publics annoncée en octobre a donné lieu à une série d’actions menées par des étudiants, qui ont notamment appelé la population à ne pas payer le métro. En réponse, la compagnie de transport a fermé des lignes, bloquant ainsi de nombreuses personnes. Ces dernières ont rejoint spontanément les manifestations qui sont devenues de plus en plus massives. Des revendications historiques se sont alors ajoutées, en matière d’éducation, de santé, de retraite…. L’actuel système de pension privée n’a pas non plus été en mesure de garantir un revenu équitable aux retraités. La privatisation de la santé et de l’éducation a également rendu précaires les services publics, si importants pour les plus vulnérables.
Comment décririez-vous la situation de ces derniers mois au Chili ?
Jusqu’à début janvier, ce fut une période difficile, complexe, mais nécessaire pour mettre en lumière les inégalités qui sont à l’origine des revendications sociales. Cette situation est complexe car elle ne découle pas d’une seule cause, mais de plusieurs. Cela a d’ailleurs généré diverses réactions dans la société. Certains ont participé au mouvement pour exprimer, de diverses façons, leur malaise, réclamer un pays plus juste. D’autres ont vécu cette « explosion de colère sociale » comme un événement violent qui a eu des effets sur leur quotidien.
Pour être plus précis, les manifestations sociales, présentes depuis le début de la crise, vont de la protestation spontanée comme les « cacerolazos » (concerts de casserole) à l’organisation dans l’espace public de différentes formes de rencontres, parfois très créatives. Toutes demandaient au gouvernement de prendre des mesures qui génèrent des conditions de vie plus dignes. Il y a aussi eu des espaces de rencontre comme les conseils « autoconvoqués ». Et ceux promus par l’Église de Santiago à travers la VPSC et la Vicaría para la Educación. Ces lieux de dialogue et d’échange ont cherché à comprendre les origines du conflit et à présenter des alternatives pour une plus grande justice sociale. Tout cela fait que le climat oscillait effectivement entre les expressions d’espoir regroupées sous le slogan « Le Chili s’est réveillé » et des heurts violents lors des manifestations avec de nombreuses victimes.
Un mot sur la violence lors des manifestations dont vous parliez tout à l’heure…
Depuis le mois d’octobre, des situations préoccupantes ont en effet été observées en matière de violation des droits de l’homme. On estime que 22 personnes ont perdu la vie lors de différents événements. Selon l’Institut national des droits de l’homme (INDH), dans son rapport du 17 octobre au 30 décembre 2019, 3583 personnes ont été blessées. Les traumatismes oculaires étant le cas le plus signalé publiquement.
La façon dont l’État a géré la crise a notamment été remise en cause par divers acteurs. On lui reproche d’avoir davantage cherché à criminaliser la protestation qu’à protéger le droit de manifester pacifiquement. Un sondage d’opinion publié récemment dans les médias rapporte par ailleurs que 81 % des personnes interrogées estiment que le gouvernement a mal agi face à la crise sociale.
Les manifestations continuent-elles aujourd’hui ?
L’une des expressions les plus massives de cette diversité de revendications a eu lieu le vendredi 25 octobre. Selon les médias, plus d’un million de personnes se sont rassemblées ce jour-là pour réclamer une plus grande justice sociale. Depuis cette action, le vendredi est devenu Le jour de la protestation sociale, avec de nombreux appels à manifester.
Aujourd’hui, à Santiago, les manifestations dans le secteur de la « Place de la Dignité » continuent, bien qu’elles soient plus espacées.
Prolongez-vous les actions que vous avez mises en place au plus fort de la crise ?
En ce moment, c’est l’été au Chili. Les espaces récréatifs de notre programme « Colonias Urbanas » (accueil de loisirs) ont rouvert. Dans certains d’ailleurs, la méthode Grain de sable est adaptée pour permettre aux enfants de parler des situations de violence qu’ils perçoivent dans leur vie quotidienne. Ces centres sont notamment animés par des jeunes souhaitant mener des actions solidaires à destination des enfants. Nous sommes là pour les accompagner. Nous espérons aussi développer des espaces de rencontre à destination de ces jeunes très impliqués dans la lutte contre les violences faites aux enfants afin qu’ils puissent évaluer leurs actions et partager leurs bonnes pratiques.
Selon vous, comment sortir de cette situation ?
Le gouvernement vient d’annoncer un plan d’investissement important pour la relance économique du pays. Il ne faut pas oublier de mettre en place des mesures pour enrayer les inégalités sociales, les inégalités d’accès à l’éducation, à la santé, au bien-être. Il faut travailler à l’amélioration des conditions de vie de la population. Pour cela, il est nécessaire de continuer à construire des engagements qui soient complémentaires à la croissance économique.