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Inde Malnutrition
© Aina Trust
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150 millions d’enfants affectés
par la malnutrition

Alors qu’elle tendait à reculer au début de ce siècle, la faim revient en force dans de nombreuses régions du monde. En cause, le changement climatique, les conflits, mais aussi plus récemment la pandémie de coronavirus.

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Touchant quelque 150 millions d’enfants dans le monde, dont elle retarde la croissance et même le développement cognitif, la malnutrition porte atteinte au capital humain des pays concernés. C’est l’analyse de Geneviève Wills et Tiphaine Walton, respectivement directrice du bureau parisien et porte-parole du Programme alimentaire mondial (PAM) qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix.

En quoi l’aide alimentaire est-elle un facteur de paix ?

Tiphaine Walton : Le comité du prix Nobel l’a souligné : bien souvent, le conflit engendre la faim et la faim engendre le conflit, elle peut même être utilisée comme arme de guerre. C’est ainsi qu’en raison principalement des conflits qui font rage dans certaines régions du monde comme le Yémen, le Sud Soudan, le nord-est du Nigeria, le Burkina Faso… les chiffres de la faim sont repartis à la hausse ces dernières années, alors qu’ils étaient en baisse au début du siècle. L’assistance alimentaire est donc un facteur de paix, également en situation de post-conflit. Je pense à nos programmes en Irak pour favoriser la reprise de l’agriculture. Dès que les gens ont des opportunités de travail et un accès à la nourriture, la cohésion sociale est renforcée et les tensions s’apaisent.

Quel est l’impact de la pandémie actuelle ?

T. W. : Avant la crise, on estimait à 149 millions le nombre de personnes en insécurité alimentaire aigüe, ce nombre a atteint 270 millions fin 2020. Il risque d’y avoir plus de morts liés à la crise économique engendrée par la pandémie qu’à la pandémie elle-même, notamment en Amérique latine où les chiffres de l’insécurité alimentaire explosent. Il y a eu au début des problèmes de circulation des denrées alimentaires, bloquées aux frontières. Nous avons mis en place des ponts aériens et repositionné les stocks, l’épine dorsale logistique de l’aide alimentaire. À l’intérieur des pays, les populations rurales ont été confinées et n’ont pas pu cultiver leurs champs ou accéder aux marchés. Celles des villes, qui vivent pour beaucoup de l’économie informelle, ont été encore davantage touchées.

Les envois de fonds depuis l’Europe des personnes migrantes ont de surcroît beaucoup baissé, les diasporas vivant elles aussi bien souvent du secteur informel ou des jobs saisonniers qui ont été mis à mal par la crise. Or une personne sur neuf dans le monde dépend de ces envois pour vivre.

Quelles mesures prendre pour lutter durablement contre la faim ?

Geneviève Wills : Dans des zones vulnérables comme le Sahel où les causes de l’insécurité alimentaire sont multiples (conflits, changement climatique et pandémie) et durent sur des années, il est essentiel de mettre en place des programmes innovants, en partenariat avec le monde agricole. Nous apportons des réponses globales au niveau de la santé, avec des agences spécialisées et d’autres acteurs humanitaires. Il s’agit de répondre aux besoins, et plus encore de prévenir les besoins dans un souci de cohésion sociale.

Combien d’enfants sont touchés par cette insécurité alimentaire ?

T. W. : On estime à 150 millions le nombre d’enfants affectés par la malnutrition dans le monde. Nous parlons de malnutrition car, autant que l’apport en calories, c’est l’apport en nutriments qui importe. Si un enfant ne reçoit pas les nutriments nécessaires à son développement dans les 3 000 premiers jours (0-8 ans) de sa vie (on parle même désormais des 8 000 premiers jours, soit jusqu’à 21 ans), il risque de connaître des retards cognitifs importants. Dans des pays comme le Yémen, où les taux de malnutrition infantile sont effroyables, on redoute qu’une génération entière soit sacrifiée au conflit. C’est le capital humain du pays qui se trouve entamé, et cela a un impact à long terme.

D’où les programmes de cantines scolaires ?

G. W. : Ces programmes agissent comme un véritable filet de sécurité pour les communautés vulnérables. Chez les filles, surtout à partir de
12-13 ans où elles sont menstruées, on observe une diminution de l’anémie d’environ 20 %. Les repas scolaires représentent par ailleurs un transfert de revenus pour les familles correspondant à 10 % du revenu familial pour chaque enfant scolarisé.

T. W. : L’alimentation scolaire permet de faire rester ou revenir les élèves dans les écoles. C’est un atout important pour favoriser l’accès à l’éducation des filles et pour les scolariser plus longtemps. Cela permet de faire reculer l’âge du mariage, de la première grossesse, et de briser ainsi le cercle intergénérationnel de la malnutrition.

Espérez-vous atteindre votre objectif « Faim zéro » à l’horizon 2030 ?

G. W. : Avec toutes les richesses et l’expertise technique mondiales, nous devrions atteindre cet objectif. Mais à condition que la communauté internationale se mobilise pour limiter les conflits. Notre Secrétaire général a lancé un appel à la solidarité comme arme contre la pandémie, les conflits et l’insécurité alimentaire qui en résulte. C’est un appel à financer les programmes autant qu’à développer des partenariats, comme nous en développons, notamment dans le domaine de la Recherche.

 

« À Paris, 1 enfant sur 5 ne mange pas forcément à sa faim »

En France aussi des enfants ne mangent pas à leur faim et la crise du coronavirus a considérablement aggravé leur situation. Le nombre de personnes dépendant de l’aide alimentaire (5,5 millions en 2019) a explosé en 2020. Les Restos du coeur ont enregistré une augmentation de 30 % des personnes faisant appel à eux. Le Secours populaire de Paris a doublé le nombre de colis alimentaires pour répondre à la demande. Quant au Secours catholique, il a dû débloquer une aide d’urgence de 5 millions d’euros sous forme de chèques-services. Les familles et les mères seules avec enfants constituent une part significative de ces foyers qui vivent en dessous du seuil de pauvreté (moins de 867 € par mois et par personne). Chaque mois, il faut arbitrer entre payer le loyer et l’électricité ou faire les courses.

Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris en charge des Droits de l’enfant et de la Protection de l’enfance, le confiait le 28 avril dernier sur France 3 : « Aujourd’hui à Paris, 1 enfant sur 5 vit dans une famille dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté et ne mange donc pas forcément à sa faim. » Une précarité encore aggravée par la fermeture des cantines scolaires. « Dans la capitale, un repas à la cantine pour les familles à faibles revenus coûte 15 centimes d’euros. Impossible de faire un repas à ce prix-là chez soi. » Des aides exceptionnelles ont été débloquées par les mairies et l’État. En attendant que des réponses structurelles permettent à chacun de vivre et de grandir décemment avec ses revenus.

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